Le blog « un esclavage en Suisse » a suscité à ce jour 1529 consultations par des lecteurs et 90 commentaires, 16 positifs pour approuver sa prise de position en faveur d’une condamnation des clients et 30 au contraire pour la réprouver et faire l’apologie de la prostitution. Mais surtout 20 commentaires hors sujet les uns mettant en cause l’UE, d’autres le terrorisme, d’autres l’enseignement, d’autres la conscription. Plus 27 répliques du blogueur lui-même.
Parmi les arguments positifs en faveur de la prostitution, on peut trouver un éloge du contact humain entre client et prostituée, bénéfique au point de vue psychologique. Aussi une curieuse assimilation entre conscription et prostitution : si l’Etat contraint des citoyens à un travail forcé dans l’armée ou la protection civile, il y a moins lieu de s’alarmer que des femmes soient contraintes de pratique un métier qu’elles n’ont pas choisi. Une très curieuse analogie entre la prostitution et l’enseignement où les enseignants ne seraient pas libres. Enfin l’argument décisif, susurré et insinué plus qu’affirmé, selon lequel Jésus de Nazareth aurait eu une relation avec Marie-Madeleine prostituée. Après ce dernier argument, on peut tirer l’échelle. C’est du grand n’importe quoi.
Or, l’objet du blog n’était pas du tout le procès ou l’apologie de la prostitution, mais la constatation que le parlement fédéral rejettaq à une écrasante majorité la possibilité de sanctionner les clients, comme si cette mesure ne servirait à rien, alors qu’elle est déjà appliquée effectivement dans sept pays de tradition libérale et démocratique.
Il n’est dès lors pas étonnant que les commentaires opposés au blog aient été deux fois plus nombreux que ceux qui le soutiennent. La prostitution est considérée comme « un mal nécessaire », pas tout à fait le pire de maux, parce que les victimes sont tout de même dans leur accablante majorité des étrangères, ce qui pernet d’affirmer qu’au lieu de s’en prendre aux clients, « il n’y a qu’à » refuser à ces femmes un permis de travail, en revenant ainsi à la bonne vieille tradition de répression des victimes.
On voudra bien se souvenir de l’époque pas si lointaine où le tabagisme, la consommation de drogues, les excès de vitesse, la pollution industrielle, les additifs alimentaires, les décharges sauvages, la maltraitance des animaux, les violences conjugales, la pédophilie étaient toutes considérées comme des maux nécessaires par le profit qu’ils ramenaient à certain, malgré les dégâts causés à la vie des uns ou à l’équilibre mental d’autres. Sur tous ces problèmes, la société a avancé pat l’éducation, par l’information mais aussi par la répression. C’est devenu un mouvement d’ensemble des pays les plus civilisés, une marque d’éveil des consciences aux malheurs des plus déshérités, qui doivent être vraiment protégés en punissant les oppresseurs.
Ainsi en est-il de la prostitution. Si elle est prétendument nécessaire, utile voire indispensable à des mâles trop vigoureux, elle pénalise inévitablement les prostituées elles-mêmes. On peut malaisément soutenir la thèse selon laquelle la relation sexuelle pourrait être sans inconvénient majeur dissociée du rapport affectif, pour devenir un service comme un autre, une prestation que l’on acquiert légitimement en acquittant un prix, comme le service à table au restaurant,
Qui, parmi ces avocats de la prostitution, dans les commentaires ou au parlement, pourrait sereinement considérer que c’est une voie comme une autre sur laquelle pourrait ou devrait s’engager une femme avec laquelle il possède un lien de proximité, une mère, une sœur, une fille, une amie. C’est supportable tant que ce sont les autres, les étrangères, celles qui n’ont pas un passeport rouge, qui ne parlent même pas une langue nationale, qui n’ont pas d’attaches locales. Elles ne sont pas tout à fait identiques à des Suissesses. Elles sont durement exploitées parce que notre société d’abondance ne pourrait pas persister sans qu’il y ait quelque part des exploités de toute espèce. Pourvu qu’ils ne soient pas trop visibles. Pourvu qu’ils retournent chez eux en fin de carrière. Dans cette géhenne que sont les pays pauvres, corrompus, soumis à la violence. Dans cette décharge planétaire qui recueille nos déchets.
On dit souvent que la prostitution est le plus vieux métier du monde. C’est vrai dans la mesure où jadis, la plupart du temps, toutes les femmes étaient opprimées au sens où elles le sont aujourd’hui dans l’Afghanistan, au sens où elles y retombent aux Etats-Unis. La décision du parlement suisse établit une distinction entre les citoyennes du pays et d’autres femmes. C’est sans doute pour cela que dans les 172 voix qui ont rejeté la motion Streiff au Conseil national, il y avait forcément beaucoup des 84 conseillères nationales.
Au terme de cette autopsie d’un blog largement contesté, la question demeure toujours la même : est-ce que le parlement reflète ainsi la conviction du peuple souverain ? Est-ce que nous soutenons cette position ? C’est la seule qui attend une réponse, pas les faux-fuyants que furent tant de commentaires. Pourrait-on débattre honnêtement, sereinement, rationnellement d’une tare sociale ? Pourrait-on arrêter de ridiculiser les défenseurs de la dignité de toutes les femmes comme si c’étaient des moralistes, une espèce ringarde ? La morale n’a rien à voir là-dedans, la justice tout.
L’extrême pointe de la réponse à cette tare sociale serait l’éducation des clients potentiels. Expliquer d’abord que la violence de l’instinct sexuels est la réponse inévitable de la nature biologique à la menace d’une extinction de l’espèce : il faut que dans certaines situations les hommes fassent abstraction de tout autre facteur que l’exigence de la survie du genre humain. Expliquer ensuite que toutes ces violentes pulsions biologiques élémentaires ont été humanisées par la culture, le droit, les religions : la monogamie, la protection des femmes et des enfants, l’observation de rites, le respect de certains interdits. Le faîte de la relation entre les sexes est la passion amoureuse qui est un des piliers des arts. Une fois que cet accès aux sommets de la civilisation est garanti, la prostitution apparait tristement pour ce qu’elle est, une régression aux origines de notre espèce, un repli devant ce qui alimente notre antinomie avec les autres espèces vivantes. Lutter contre cette tare sociale apporte ainsi un bénéfice non seulement aux victimes, mais aussi aux agresseurs qui apparaissent maintenant elles-aussi comme des victimes de l’inculture. La loi, par ses sanctions mêmes, leur apprend à devenir plus humains. A ce titre elle aurait méritée d’être votée.