Une chronique politique sans parti pris

Où sont nos frontières ? Qui doit les garder?

 

 

Dans le cadre des Accords de Schengen, la Suisse doit augmenter sa participation au corps de garde-frontières Frontex en finances et en personnel. La gauche, qui s’y oppose, a lancé un référendum pour dénoncer les maltraitances envers les migrants. Nous voterons le 15 mai. Réaction selon les sondages ?  L’objet de votation est en légère hausse avec 62% de oui, 32% de non et encore 7% d’indécis.

La cause semble entendue. Le peuple comprend que notre frontière ne se situe plus seulement aux limites de notre territoire mais qu’elle englobe en fait l’Europe (civilisée). La Suisse participe  à l’Espace Schengen : il comprend les territoires de 26 États européens, soit 22 États membres de l’UE, et 4 États associés, membres de l’AELE, qui ont mis en œuvre l’accord de Schengen , signés à  en 1985. L’espace Schengen fonctionne comme un espace unique en matière de voyages internationaux et de contrôles frontaliers, où le franchissement des frontières intérieures par les personnes s’effectue en principe, sans passeport, sans contrôle. Cela ne dispense naturellement pas d’être muni de pièces d’identité.

C’est une solution pragmatique à un état de fait incontournable : les gens bougent de plus en plus. Chaque matin, il n’est pas possible de contrôler les 175 000 frontaliers français qui viennent travailler en Suisse. Il n’est pas possible de placer un poste de douane et de l’occuper sur chaque traversée de la frontière genevoise qui ressemble à une passoire, parce qu’une partie de la banlieue de Genève est de fait située en France.

Néanmoins reste le problème insoluble d’éviter que nous soyons envahis sans limite par des millions de ressortissants de pays pauvres, particulièrement en Afrique, sur lesquels l’Europe exerce un attrait compréhensible et irrésistible. Auquel il faut cependant résister en pratique, même si des voix à gauche plaident pour une ouverture sans limite, totalement irréaliste.

L’opinion publique est donc tiraillée entre les grands principes humanitaires et une dose honteuse de réalisme. Michel Rocard, bien que socialiste, avait résumé la résolution de ce dilemme dans la formule célèbre : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. » Citation tronquée car il ajouta aussitôt : « mais elle doit en prendre fidèlement sa part. ».

Quelle part ? Impossible de la définir une fois pour toute. On l’a bien perçu avec les réfugiés ukrainiens qui sont accueillis au nombre de 43 000, alors que la frontière est bien moins ouverte pour d’autres nationalités : Afghans, Turcs, Erythréens. En 2021, 14 928 de ces derniers ont demandé l’asile en Suisse avec un taux d’acceptation aux alentours de 60%.

Il y a donc différence de traitement. L’Ukraine a suscité un élan de sympathie parce qu’elle est en Europe, que sa population est semblable à la nôtre. Oserait-on dire parce qu’ils sont chrétiens et pas musulmans? Le Conseil fédéral a largement facilité leur accueil en suscitant un accord unanime.

Notre frontière est donc moins une passoire qu’un tamis. Elle laisse volontiers passer ceux qui sont assez semblables à nous, dont nous avons besoin, et retient les autres. S’il y a des infirmières parmi les Ukrainiennes ou des informaticiens parmi les Ukrainiens, elles ou ils sont les bienvenus.

Ce serait le résultat imprévu par Poutine de son agression : un renforcement de la main d’œuvre européenne. Un renforcement de l’Occident. Donc un affaiblissement de la Russie.

Sur l’échiquier mondial la partie se joue entre les grosses pièces qui font quelques cent millions d’habitants. Les autres régions sont des pions que l’on peut sacrifier si on en tire un bénéfice. On ne s’est pas plus battu pour la Crimée qu’on ne le fit pour Dantzig.

Dès lors où sont les frontières de la Suisse ? Que pèse-t-elle en dehors de son prestige historique et de sa fortune ? Que pèserait-elle en cas de malheur, une guerre de derrière les fagots ? D’abord protégée par le matelas des nations de l’Otan. Et puis ?

Notre véritable frontière se situe entre la Pologne et la Biélorussie, entre l’Italie et la Lybie, entre la Grèce et la Turquie. Chipoter sur le financement de Frontex parce qu’elle commet les erreurs propres à toute institution humaine peint l’irréalisme des bobos. Ils sont à juste titre émus par les dizaines de milliers de migrants noyés en Méditerranée. Mais ceux-ci ne sont pas de la responsabilité de Frontex. Ce sont les gouvernements européens qui refusent d’accorder des visas dans leurs représentations en Afrique. Dès lors ceux qui doivent s’enfuir ou qui veulent échapper à la misère voyagent dans la clandestinité, prennent des risques, subventionnent les passeurs. Frontex est une agence intergouvernementale qui applique la politique décidée plus haut. En fin de compte il est le corps des gardes-frontières européens dont on ne peut se passer dans une impasse.

D’ailleurs, il est aussi question de renforcer notre collaboration avec l’Otan. Cela va aussi de soi. C’est une assurance pour l’intégrité du territoire. C’est même la seule. Ainsi se construit inexorablement le futur Etat que deviendra forcément l’Europe. Forcément car on y est forcé par l’agressivité de la Russie, l’égoïsme des Etats-Unis, le tsunami de la Chine. A quoi riment les combats d’arrière-garde de l’extrême droite drapée dans la neutralité et de l’extrême gauche dans un fantasme humanitaire ?

 

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