Une chronique politique sans parti pris

Éloge du Centre qui réussit

 

Dimanche passé, le premier tour de l’élection présidentielle français et le second tour de l’élection du Conseil d’Etat vaudois ont coïncidé, non seulement dans le temps mais aussi par le résultat. Le centriste Emmanuel Macron et la Centriste Valérie Dittli ont fait respectivement un bon résultat et un résultat inattendu. Il vaut donc la peine de s’interroger sur la notion floue du centre en politique. Pourquoi ne pas se satisfaire du système britannique : la majorité et l’opposition assis face à face sur des bancs inconfortables? Une fois que gauche et droite ont été définies, que reste-t-il d’espace? Et pourquoi faire?

La gauche rassemble surtout des citoyens qui ne paient pas ou peu d’impôts et qui sont donc désireux d’une large distribution des finances publiques, alimentées surtout par les privilégiés de la fortune. Cela s’appelle le transfert : l’analyse et l’attribution de ces mouvements relève de la redistribution et de la répartition du revenu national pilotée par la puissance publique. Au lieu que chaque travailleur soit payé décemment afin de pouvoir vivre à son aise, on commence par distribuer un revenu largement inégal, comme si c’étaient des billets de Monopoly, et puis on corrige les différences trop criantes au moyen des allocations, des cotisations et des retraites. Cette solidarité permet de supporter les effets pervers d’une économie libérale.

La droite rassemble évidemment les citoyens qui paient le plus d’impôts et qui estiment que la dépense publique est trop généreuse. Ils disposent de cliniques, de maisons de retraite et d’écoles privées. Les services publics ne les intéressent pas tellement puisqu’ils peuvent s’en dispenser. Ils n’ont pas  besoin d’un Etat protecteur ou du moins ils le croient.

Comment peut alors se recruter un centre politique ? Sinon dans la classe moyenne, celle qui à la fois paie des impôts et des cotisations, mais qui ne bénéficie guère ou pas du tout de subsides ou d’allocations. Ces artisans, commerçants, paysans, cadres, professions libérales gagnent trop pour être subsidiés mais pas assez pour que les prélèvements obligatoires ne les réduisent pas à la portion congrue. S’il n’existe pas une parti politique centriste, leur force électorale se disperse entre la droite et la gauche.

En ce sens un parti centriste est une structure plus fragile que les partis traditionnels de la droite et de la gauche. Les deux ailes bénéficient d’idéologies assez simples à formuler et à expliquer : plus d’Etat ou moins d’Etat, à chacun selon ses besoins ou à chacun selon son mérite, travailler moins pour vivre plus longtemps ou travailler plus pour gagner plus. Là-dessus viennent encore se greffer les exagérations extrémistes : la révolution, le nationalisme, l’intolérance religieuse, la xénophobie, l’anarchisme.

La plupart des pays démocratiques se gouvernent selon l’alternance. Chaque aile à son tour dispose  du pouvoir et s’efforce de démontrer que sa doctrine est la meilleure. Après quelques années, il devient évident que la réalité est plus complexe que cette idéologie et on change d’aile et d’idéologie. Et ainsi de suite. Cela ressemble à un canoé que l’on propulse en donnant alternativement un coup de pagaie de chaque côté. On avance mais on louvoie. Ce n’est pas la trajectoire rectiligne pour atteindre un but.

La Suisse a dépassé l’alternance en pratiquant la concordance à chaque niveau de l’exécutif. Gauche et droite gouvernent ensemble en atteignant à terme une sorte de consensus, à mi-distance des extrêmes. Cette leçon de chose enseigne en tous cas que la réalité politique est complexe, voire compliquée. Le but d’un système de pensions est d’être le plus généreux possible : le possible signifie des cotisations qui ne soient pas trop lourdes pour les actifs et tout l’art est de trouver un point d’équilibre. Même défi pour l’assurance maladie, pour le réseau de formation, pour la sécurité, pour la dette, pour les transports : faire le meilleur usage des ressources disponibles. Ne pas accumuler les dettes pour les générations futures. Vivre à l’équilibre.

En somme, gouverner au centre est non seulement un idéal mais une obligation. Encore faut-il dégager des solutions réalistes par une observation objective de la réalité telle qu’elle est et non telle qu’on la souhaite soit à gauche, soit à droite, ce qui profile nécessairement des œillères. Telle peut être la vocation d’un parti centriste : anticiper la longue recherche d’un consensus entre droite et gauche par l’énoncé direct d’une solution inévitable, à laquelle on devra bien finir par  se résoudre. Gagner du temps. Si les institutions suisses sont remarquables par la constance d’un consensus finalement atteint, ce ne l’est qu’au prix du temps, parfois de plusieurs années pour un problème qui en fait est urgent. L’exemple type est évidemment la transition climatique qui se résout mais trop lentement. Ou encore la relation avec l’UE qui traîne depuis trois décennies.

En d’autres mots gouverner au centre mais en épargnant sa fastidieuse recherche, en l’incarnant dans une formation politique dont c’est l’ADN, et qui en fait l’objet d’une réflexion perpétuelle.

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