Au parlement fédéral, l’UDC s’est opposée aux sanctions économiques de la Suisse à l’égard de la Russie. « Berne doit s’en tenir à une stricte neutralité selon le parti national-conservateur. Après les décisions du Conseil fédéral sur les sanctions, selon Gregor Rutz (UDC/ZH) : ce genre de déclarations n’apporte rien de concret pour mettre fin à la guerre, si ce n’est de placer notre rôle de médiatrice en danger. ». L’image de l’Helvétie maternelle ramenant Vladimir Poutine dans le droit chemin par une douce persuasion est évidemment tout à fait convaincante.
Or, cette position de neutralité abstraite et exagérée sera difficile à défendre face à l’opinion publique, qui soutient massivement, émotionnellement, viscéralement la résistance du peuple ukrainien. On peut donc la considérer dans le chef de l’UDC comme téméraire, inconsciente ou révélatrice d’une tension interne au plus important parti de la Suisse.
La même attitude de soutien de Poutine a été relevée dans d’autres manifestations internationales de populisme : les saugrenus Trump et Bolsonaro, mais aussi, plus proche de nous, trois candidats à la présidence en France : Zemour, Mélenchon et Le Pen. Ces derniers ont évidemment rétropédalé ensuite, dans l’urgence de la campagne où leurs déclarations antérieures risquaient de les déconsidérer totalement.
Il existe donc une tendance universelle à l’alliance entre le populisme de droite ou de gauche et les dictatures ou démocratures. C’est évidemment paradoxal, car la posture nationaliste locale supposerait que l’on soit inconditionnellement opposé aux nationalismes étrangers. Or, ce n’est pas le cas. Tout nationaliste donne en exemple ses équivalents étrangers, dont les outrances bigarrées justifient les siennes.
Cela rappelle forcément la pente naturelle de collaboration, sur laquelle ont glissé simultanément le nazisme, le fascisme, le franquisme et le pétainisme. Une des premières initiatives de Philippe Pétain quand il accéda au pouvoir durant l’été 1940 fut de promulguer des lois discriminatoires à l’égard des Juifs, avant même de subit quelque pression que ce soit de l’occupant allemand. Le souvenir de l’affaire Dreyfuss était encore vivace, avec l’humiliation infligée dès 1900 à l’armée, à l’Eglise catholique et à la droite.
Il existe donc une internationale populiste, de plus en plus forte, qui séduit un peu partout le tiers des électeurs. En sus de son nationalisme tribal fondateur, il développe d’autres composantes, la première étant évidemment le refus de tout ordre international : l’ONU, l’OTAN, l’UE, les Droits de l’Homme, Schengen, Frontex, voire les Conventions de Genève. Ainsi sous la pression de son aile populiste, la Suisse s’est-elle exclue d’Erasmus et d’Horizon. Cette décision politique est alimentée par une surestimation nationale : chaque pays devrait mijoter sa science particulière, sans aucun besoin de chercheurs étrangers.
La seconde est certainement l’ignorantisme, le refus d’apprendre et l’appétence pour l’oubli du peu que l’on connait. Parmi les populistes on retrouvera naturellement la secte créationniste, les mouvements homophobes, les machistes, les intégristes religieux. Tout naturellement le populisme s’oppose à la vaccination contre le Covid. La transition climatique est traitée de fable gauchiste. Les médias sont considérés avec suspicion, sauf s’il s’agit de télévisions privées : un des buts est de détruire le service public de la SSR. Et en général, de briser l’Etat de droit pour y substituer autre chose, qu’il faut bien nommer pas son nom : la démocrature.
La manifestation extrême de l’ignorantisme est le complotisme, la tendance à imaginer une explication simpliste à des situations sociales aux causes extrêmement complexes. Dans les commentaires de ce blog on peut retrouver ce schéma pour l’épidémie : le virus a été inventé par un laboratoire de façon à vendre des vaccins, non seulement inefficaces mais aussi dangereux voire mortel. La pression pour la vaccination résulte d’un complot de tous les gouvernements et de toutes les administrations. Seuls détiendraient la vérité quelques médecins rebelles.
Bien que ce soit difficile, il faut donc imaginer et comprendre que certains leaders populistes soient vraiment persuadés des thèses qu’ils défendent. Trump a peut-être vraiment cru que l’élections perdue résultait de fraudes des démocrates et cette conviction est encore partagée par le tiers de la population américaine, bien qu’on n’en ait jamais découvert le mojndre indice. Poutine croit peut-être que l’Ukraine gouvernée par des nazis entreprenait le génocide des russophones : cela a l’air absurde mais ce ne l’est pas, dans la mesure où existe de véritables paranoïaques diagnostiqués par la psychiatrie. Gregor Rutz est vraiment persuadé que les sanctions financières contre la Russie sont une violation crasse de la neutralité, même si (et surtout si) l’opinion inverse est tenue par la majorité du Conseil fédéral et du Parlement.
Dans l’Histoire, il y eut des moments de folie collective où le réflexe populiste, patriotard, intégriste l’a emporté sur tout. Le régime des talibans en Afghanistan en est une illustration contemporaine. Le délire d’un homme gagne une nation, comme celui d’Hitler a submergé la nation allemande malgré sa culture, sa science, sa technique. Le problème est d’imaginer des formes de thérapie collective qui seraient efficaces contre autant de formes de folie collective.