Une chronique politique sans parti pris

La guerre toujours recommencée ?

 

Comme la mer, la mort et l’amour, la guerre semble toujours recommencée. Or, nous nous étions habitués à la paix. Depuis 1945, Français et Allemands ne se sont plus agressés comme ils croyaient que c’était leur devoir patriotique, mais ils collaborent intelligemment dans l’UE, apportant aux populations un peu plus de bien être plutôt que la mort et la ruine. Il n’était jamais arrivé dans l’histoire du continent qu’il n’y ait pas eu un conflit majeur entre grandes puissance, France, Allemagne, Autriche, Espagne, Angleterre, Russie pendant trois quart de siècle. C’était peut-être la fin des guerres, hormis quelques conflits locaux dans des pays marginaux, Bosnie, Serbie, Géorgie. La queue de la comète. Le début de la sagesse. On en était même arrivé à abandonner la conscription et à donner au moins le choix à chaque jeune entre service civil et service militaire. Un progrès de civilisation.

Le 24 février tout cela s’est effondré. Un homme à lui tout seul à fait régresser un continent. Sans aucun intérêt prévisible pour son pays, ni bien sûr pour l’Ukraine agressée. Par messianisme peut-être. On apprend que ce serait un homme religieux. A l’aberration de l’ancienne mode. Il a fait bénir par un pope les avions destinés à effectuer le massacre des populations civiles en Syrie. Le patriarche de l’Eglise orthodoxe russe approuve l’attaque de l’Ukraine. Et celui de Kiev la désapprouve. Et leurs deux Dieux sont mobilisés pour servir les hommes.

Quoiqu’il en soit de ce que si passe sous le crâne semi chauve et opaque de Poutine. Il vaut la peine de comprendre d’où vient la guerre, cette singularité de l’espèce humaine, prompte à aligner des combattants, plus ou moins volontaires, pour se massacrer mutuellement. Et comment depuis 1515, la Suisse, la première, y a renoncé et s’en est bien trouvé.

Pendant plus de deux millions d’années, nos ancêtres ont été des chasseurs cueilleurs, vivant aux dépens de la nature, des animaux et des plantes sauvages. On peut imaginer des tribus de quelques dizaines d’individus se déplaçant pour trouver le gibier. Il n’y a que depuis douze mille ans que nous sommes nourris grâce à l’élevage et l’agriculture. Le prix à payer n’est pas perceptible au premier abord. Les terres sont fertiles et libres, le travail est léger. Cependant au fur et à mesure que les terres s’épuisent, que les sources s’assèchent par suite du déboisement, que la population bien nourrie augmente, l’agriculture devient plus pénible parce qu’il faut cultiver des terres plus pauvres.

À la longue, la population ne peut plus être nourrie que marginalement en cultivant des terres qui exigent le travail incessant des plus démunis. Des tentatives pour étendre le système au-delà de son environnement originel accélèrent le processus. Ainsi l’irrigation inventée pour cultiver des terres trop sèches peut définitivement stériliser celles-ci si l’eau est chargée de sels dissous.

À la malédiction du travail et de la famine, le système néolithique superpose le déterminisme des guerres. La guerre était inconnue au Paléolithique pour la raison évidente qu’elle n’a aucun mobile. Le clan de chasseurs ne possède rien que ses vêtements et ses armes. Si une contestation surgit au sujet d’un point d’eau, d’une harde de gibier, le groupe le plus faible préférera se replier que de risquer la vie des chasseurs si précieux,  qui assurent la ressource vitale en nourriture.

La révolution néolithique bouleverse ces données comme le confirment les squelettes des premières victimes de la guerre. En effet, le paysan ne jouit plus de la liberté du chasseur. Les champs défrichés, les fossés d’irrigation creusés, les granges pleines de grains, les outils, le bétail sont le fruit d’un investissement que la communauté villageoise doit défendre si elle veut survivre. Comme la densité de la population croît inexorablement tant que la pénurie n’est pas installée, tôt ou tard surgissent des conflits soit entre sédentaires et nomades, soit entre villages voisins pour la possession de terres.

La guerre n’est donc pas une fatalité qui serait inscrite dans l’ADN de l’espèce, mais une conséquences négative de la révolution néolithique. Lors de la révolution industrielle nous avons basculé dans un autre monde où la fortune d’un pays ne dépendit plus de la terre qu’il possède à l’intérieur de ses frontières. La guerre de 14-18 fut sans doute la dernière où les armées étaient encore formées de terriens, viscéralement attachés à la défense de la patrie agricole.

Les deux guerres mondiales n’en font qu’une de 1914 à 1945, la seconde étant le résultat de la paix biaisée qui conclut la première. À deux reprises, les nations les plus civilisées furent saisies d’un accès de folie collective, qui les entraîna à s’anéantir mutuellement en sacrifiant des dizaines de millions de vies. La guerre industrielle avec l’invention des mitrailleuses, le développement de l’artillerie et ultérieurement des chars,  n’avait plus aucun sens, car la conquête d’un territoire avait perdu sa raison d’être. Des peuples prospères survivent aujourd’hui sur des territoires minuscules comme Singapour ou Hong Kong.

L’horreur de ces deux conflits suscita la création d’abord de la SDN, puis de l’ONU. Une série d’agences spécialisées s’occupent de la nécessaire coordination internationale des télécommunications, de la Poste, de la santé, du commerce, de la pêche. Une sorte de gouvernement mondial a été mis en place, démuni de pouvoir réel mais symbole d’une nécessité. Sur le continent, ravagé, détruit, appauvri, la création de l’UE par quelques personnalités lucides mit un terme aux conflits récurrents entre la France et l’Allemagne.

En 1985, Gorbatchev comprit que l’équilibre de la terreur par le nucléaire n’était pas une option car, en cas de déséquilibre, ce serait la fin de l’espèce humaine. De fait depuis 1945 il n’y eut plus que des conflits locaux qui furent éteints par une diplomatie adéquate. Jamais l’Europe n’a connu une aussi longue paix, qui aurait pu s’établir définitivement, si un autre facteur n’avait surgi. La véritable vision du vingtième siècle semblait être l’établissement d’une paix perpétuelle entre nations civilisées, c’est-à-dire l’abolition d’une des conséquences de la survenue du Néolithique.

Ce facteur supplémentaire dans le déclenchement des guerres n’est plus la nécessité de survie du peuple agresseur, mais l’autocratie, la remise de tous les pouvoirs à un monarque ou dictateur, soucieux de sa propre gloire plus que de la vie de ses soldats. Ainsi Alexandre le Grand se tailla un immense empire en Orient dont la Macédoine n’avait pas un besoin impérieux et Jules César, après Scipion et Pompée, se lança dans la fabrique de l’Empire romain qui finit par s’effondrer sous son propre poids. Poutine est dans la même vision impérialiste : la Russie n’a aucun intérêt dans une guerre avec l’Ukraine dont elle subira des conséquences néfastes, mais le dictateur est à la recherche d’une gloire factice pour affermir son propre pouvoir à l’interne.

Dès lors, la meilleure garantie contre les guerres est la démocratie dans la mesure où elle règnerait partout. Tant que ce n’est pas le cas, tant qu’il existe des démocratures, la guerre peut resurgir. Ce n’est pas un hasard si Trump, Bolsonaro, Zemmour, Mélenchon et Le Pen ont eu des faiblesses pour Poutine. Il a réalisé ce qu’ils ambitionnent secrètement : la conquête du pouvoir absolu pour la satisfaction de l’ego d’un adolescent prolongé.

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