Une chronique politique sans parti pris

L’impossible conversion

 

Ainsi, nous déclarons que l’épidémie est terminée. Personne ne sait si c’est vrai, mais cela n’a pas d’importance. Nous sommes tellement habitués au déni de réalité qu’il faut user de cette faculté lorsqu’elle devient indispensable. Or, le peuple était las. Il ne supportait plus qu’on le contraigne. Il ne supportait plus que le pouvoir lui donne des ordres. Il allait sombrer dans n’importe quelle folie plutôt que d’écouter la raison.

On lui a donc donné arbitrairement, administrativement, théoriquement raison : l’épidémie est terminée. En démocratie on ne peut vivre indéfiniment dans la contrainte. La logique politique est de reconnaître la folie collective pour la faire prendre verbalement pour un exercice contrôlé de la raison.

Si le virus avait des antennes, il saurait qu’il a désormais le champ libre pour se développer en Afrique non vaccinée, où mijoter de nouveaux variants, et pour lancer de nouvelles vagues contre lesquelles les vaccins actuels seront inefficaces. L’avenir dira si vraiment l’épidémie est devenue un rhume endémique. Provisoirement nous sommes de retour à la case départ en retrouvant les autres embarras ordinaires.

Le plus courant est la menace impensable d’une guerre en Europe parce que la Russie redevient agressive. Nous ne pouvons rien lui opposer que des sanctions économiques. Or, la Russie a déjà mérité de telles sanctions, dès la conquête de la Crimée en 2014. On ne les a pas appliquées, d’où l’on a laissé entendre à la Russie que l’on ne désirait pas se brouiller avec elle pour défendre l’intégrité de l’Ukraine. Poutine en a tiré la conclusion logique qu’il pouvait continuer face à un adversaire sans volonté. Macron ou Scholz viennent énoncer des plaidoyers à Poutine, isolés au bout d’une longue table, comme des vassaux face à un suzerain. Mais le président du Conseil Européen, l’aimable Charles Michel, ne serait même pas reçu en Russie, car il ne possède aucun pouvoir de l’inquiéter sérieusement.

Pour peser dans la politique mondiale, il faut exister en tant qu’Etat d’une taille suffisante. L’UE a la taille, mais pas d’Etat. La Suisse n’a pas du tout la taille et boude l’UE. On peut difficilement imaginer Poutine recevant Ignazio Cassis, même au bout de la table car il n’a pas de temps à perdre. Il ne connait même pas le nom de notre président annuel.

Or, il subsiste un autre problème, bien plus important qu’une très éventuelle guerre ouverte. Il persistait avant l’épidémie et il revient en force : le climat a continué à se réchauffer et menace la survie de beaucoup d’espèces vivantes, à commencer par la nôtre. En plus de l’épidémie, on a eu droit à une multiplication de cyclones, de sécheresses, de fonte de glaciers et de feux de forêts.

Comme le problème a été négligé pendant deux ans, des solutions bâclées dans l’urgence commencent à apparaitre. L’UE vient de verdir réglementairement deux filières : le gaz et le nucléaire, comme si cette déclaration abrogeait leurs inconvénients. La France envisage cinq nouvelles centrales nucléaires, comme si cela assurait son autonomie, dépendante forcément de l’alimentation en combustible par des pays producteurs aussi fiables que le Niger ou le Kazakhstan, comme si les réacteurs d’une nouvelle génération disposaient d’une sécurité à 100%. La Suisse se propose de prévenir la pénurie menaçante d’électricité l’hiver prochain en construisant (plus tard) de nouveaux barrages ou même trois centrales à gaz, qui ne fonctionneraient que de façon intermittente en cas de pénurie. C’est-à-dire que le courant qu’elles produiront sera monstrueusement cher pour amortir l’investissement. Bref on bricole, chacun dans son coin.

En fin de compte, la seule source fiable d’énergie est celle que l’on peut récupérer indéfiniment sur le territoire national : le solaire avec l’éolien et l’hydraulique, la géothermie, la biomasse. C’est renouvelable et sûr. Une politique d’envergure consisterait à bâtir une industrie nationale de l’énergie et accessoirement d’économies d’énergie. On n’en prend pas le chemin. La production de CO2 au niveau mondial n’a pas baissé. En Suisse on ne sait pas quand les voitures thermiques et les chauffages aux fossiles seront interdites, quand les recours contre les éoliennes seront abolis. Le peuple a montré tellement peu d’enthousiasme à suivre les conseils du politique en matière d’épidémie que l’on peut imaginer sa résistance à toute forme de changement de ses habitudes. La Berne fédérale se garde bien de tirer des plans sur la comète climatique. On fera comme avec les masques en 2020, on ne prévoira pas, on réagira dans l’improvisation, on fera comme si on n’avait pas été prévenu.

Car s’adapter à la nouvelle donne énergétique consiste rien moins qu’à changer de modèle économique, à abandonner de vieilles habitudes, à prendre moins l’avion, à utiliser moins la voiture, à consommer autrement, à abandonner complètement certaines filières. Non pas à retourner au passé qui nous a transporté dans l’actuel présent, mais à inventer un avenir dont on ne sait rien pour l’instant. A mobiliser toutes les bonnes volontés qu’il faudrait commencer à éveiller.

Empoignons le cas de la publicité. Elle est utile au producteur, car elle garantit ses ventes, et nocive au consommateur, car elle lui fait acheter des produits inutiles en lui faisant croire qu’ils vont assouvir des envies ou réduire des frustrations. En dehors de cette gabegie de la consommation, la publicité est encore indispensable aux médias qu’elle finance, aux clubs sportifs, aux activités culturelles. En sus des impôts levés par les pouvoirs publics, cette vaste industrie finance l’information, le sport, la culture en prélevant une taxe occulte sur le panier de la ménagère. Si l’on voulait vraiment réduire les consommations inutiles, il faudrait bannir la publicité. C’est pratiquement impossible. Car elle transforme les sentiments les plus bas : le désir de paraître, le comblement des déchirures affectives, le plaisir de dépenser, le souci de de se fondre parmi les privilégiés. Elle suscite d’abord une convoitise, dont je n’ai jamais eu besoin, et prétend ensuite que cette envie est un besoin. Elle touche l’esprit avant le porte-monnaie.

On ne changera pas de système économique comme de chemise, sans changer d’abord les hommes. Osons le mot : en les convertissant à la solidarité entre les peuples et entre les générations, en renonçant à l’avidité et à l’envie, en abolissant les violences physiques ou psychologiques. Ce fut longtemps la charge des religions, qui ont toujours plaidé pour cette conversion avec une belle unanimité. Cette universalité de l’approche spirituelle dévoile un besoin fondamental de l’être humain.

Malheureusement beaucoup de religions restent immobilisées sur des textes et des conseils datant de plusieurs siècles, inadaptés à la conjoncture actuelle, pratiquement inaudibles. Il faudrait donc imaginer de nouvelles méthodes de prédication, sans avoir le loisir de les développer. On peut donc douter que cette conversion se produise à temps. Il faudra, comme dans la pandémie, attendre les prodromes de la catastrophe pour induire la componction.

 

 

 

 

Quitter la version mobile