Tant crie-l’on Noël qu’il vient, écrivait déjà François Villon en 1458. L’année tire à sa fin comme toutes les précédentes parce que le temps ne s’arrête jamais. Ce n’est pas lui qui passe. C’est nous qui passons comme des naufragés sur un radeau et qui voient défiler les rives d’un grand fleuve. Alors que l’esquif coule petit à petit, nous ne voyons sur les bords que ruine et désolation. La peste puisqu’il faut l’appeler par son nom, le désarroi des peuples, la tentation de la guerre, les inondations, les incendies et, affront suprême une grande éruption comme si la Terre expulsait le pus d’un abcès. Il y aurait autre chose à voir.
Nous aurions donc aimé faire un arrêt sur image, respirer et réfléchir, penser à autre chose qu’au jour le jour. Nous espérions une fête mais nous n’aurons qu’une débauche d’achats. Nous espérions Noël et nous n’aurons que la fête païenne des Saturnales. Nous sommes ramené dans le monde païen. Jadis à Rome on célébrait le solstice d’hiver, des fêtes se déroulaient pour le dieu Saturne. On organisait des repas, on échangeait des cadeaux, on plaçait des plantes vertes dans les maisons. C’est exactement ce que nous répétons.
Au début de l’ère chrétienne, Noël remplaça les Saturnales, la naissance de Jésus se synchronisait sur la remontée de la lumière. A la fin de l’ère chrétienne, les historiens écriront que les Saturnales sont revenues en force sous le déguisement de Noël. Comme selon l’évangile de Luc, Jésus nait dans une famille pauvre, dans une étable, dans le froid, dans l’annonce à des bergers encore plus pauvres qu’un charpentier, il est indécent, contradictoire, choquant de le célébrer par des dépenses démesurées.
Rien mieux que la régression de Noël ne mesure la déchristianisation de l’Occident. S’il est une religion largement répandue, c’est celle de la société d’abondance, de la surconsommation, de la course à la réussite financière. Impossible d’y échapper car elle s’affiche partout. Sur nos murs, parfois quelques belles pensées ou des consignes routières, mais surtout un endoctrinement à l’achat de choses sans nom, dont nous n’avons pas besoin mais dont l’on nous donne envie jusqu’au point où celle-ci est prise pour un besoin. Il suffit de mijoter le iPhone pour en vendre des milliards à des gogos.
Pourquoi cela est-il arrivé ? Qu’est-ce qui se passe avec la religion de peuples développés ? Les hommes d’aujourd’hui ne sont ni plus méchants, ni plus stupides que leurs grands-parents. La morale n’est pas un gaz qui se dissipe. Dans le même poème déjà Villon le disait : Tant aime-t-on Dieu qu’on fuit l’Eglise. Les hommes d’aujourd’hui n’ont pas moins faim de spirituel que leurs ancêtres, dont ils ne descendent pas mais dont ils montent. Ils sont donc plus exigeants et on ne peut plus leur faire prendre des vessies pour des lanternes. Sinon, c’est le cas de le dire, ils tombent des nues.
Ce soir dans les églises et les temples on lira, on commentera l’évangile de Luc, on en parlera comme si cela s’était réellement passé, la mangeoire, le chœur d’anges, le bœuf et l’âne. Or Luc, le plus lettré des quatre évangélistes, respecte la tradition des biographes d’hommes célèbres de l’Antiquité, qui sont tenus d’inventer un récit de l’enfance pour y déceler l’annonce de la vie adulte. Comme il rédige dans les années 80, il est impossible qu’il ait pu tenir cette information de Marie elle-même. Dès lors, il ne faut pas s’arrêter à l’image ou même à la lettre du texte. Luc a recueilli une tradition orale exprimée selon les conceptions de l’époque. Le texte de Luc doit être lu et médité pour ce que son auteur a vraiment voulu signifier, en rédigeant un conte merveilleux et édifiant. Jésus de Nazareth, vraiment homme, est né d’un couple humain comme nous tous. Qui peut aujourd’hui croire le contraire ? Qui peut croire une institution qui prétend le contraire ? Qui peut croire ce soir-là que des chœurs d’anges chantent dans le ciel à un moment quelconque?
Luc a créé un genre littéraire admirables dans le merveilleux, le conte de Noël,, et on peut lui en savoir gré. Tous les contes qi en dérivent expriment avec force un esprit d’enfance, qui nous fait désirer croire au merveilleux, croire que le merveilleux existe vraiment derrière la grisaille du quotidien. Telle est la substance de la foi. Pas en des manifestations spectaculaires, des avalanches de miracles, des prodiges inouïs qui nous contraindraient de croire, si nous en étions témoins ou si nous ajoutions foi à des témoignages
Notre monde n’est pas déchristianisé. Il est en rupture d’Eglises, toutes tant qu’elles sont, parce que celles-ci ne parlent pas le langage de la vérité du siècle à côté de celui du conte de Noël. Les deux peuvent coexister. On peut regarder avec le même intérêt un documentaire et un film de fiction. Chacun dit la réalité selon des formes différentes. Les quatre évangiles racontent quatre histoires différentes du même personnage qui ressort vivace de cette littérature, plus réel que réel, plus vrai que vrai. Avec un seul message de charité universelle. Qui est partiellement réalisé dans les sociétés chrétiennes et développées avec tous les outils de la politique sociale pour leurs citoyens . Qui n’est pas réalisé lorsque des migrants se noieront dans la Manche au même moment où Noël sera célébré devant le petit reste des pratiquants.
Qui n’est pas réalisé lorsque des scandales entachent une Eglise et la fait paraître comme une conspiration de criminels et de complices. Jadis on battait les enfants dans les meilleures familles parce qu’on les tenait pour des monstres de désordre qu’il fallait convertir par la force. On les violait dans les familles et dans les sacristies parce que cela n’avait pas d’importance. Or, notre monde s’est à ce point christianisé qu’il ne tolère plus ce genre de comportements en droit civil, en justice ordinaire. Nous n’avons pas régressé, nous avons progressé. Nous valons mieux que ce que nous croyons être. Il faudrait que nous en rendions compte et que Noël redevienne l’échange de vœux, les réunions de famille, l’ouverture aux étrangers plutôt que l’achat de iPhones.