Une chronique politique sans parti pris

Faut-il adhérer ?

 

 

Quelle question ! Quelle impertinence et quelle absence de pertinence ! La première question à poser annule toutes les autres : est-ce que le peuple suisse l’acceptera ? La réponse est un non franc et massif : nous n’avons pas besoin de l’Europe, nous sommes comme une île dans le Pacifique, nous pouvons commercer avec la Nouvelle-Zélande, nous sommes un peuple d’élite qui peut vivre sur ses propres forces.

Dans l’actualité, le PS propose un plan pour se substituer à la flânerie actuelle du CF et pour déboucher sur l’adhésion. Le Temps publie une pleine page d’avis autorisés qui aboutissent à l’adhésion. Rêveries de candidats à des postes de fonctionnaires européens à Bruxelles ! La réalité, telle que perçue par le peuple,  est différente. Le plus grand parti suisse est farouchement opposé à toute collaboration avec l’UE. Il a fait voter voici trente ans contre l’adhésion minimaliste à l’EEE. Il vient de faire voter contre « l’immigration de masse ». Il a obtenu la rupture des négociations sur l’Accord-cadre en mai de cette année. Incidemment il est en position de saboter la lutte contre l’épidémie et la transition climatique. Il est ainsi le grand parti de ceux qui sont contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre, il recrute tous les mécontents et en tire sa force.

Or la réalité (la vraie) est différente. La Suisse est au cœur de l’UE. Elle est naturellement un nœud des transports et de l’électrification. Elle seule jouit du privilège de parler trois grandes langues du continent et de former des fonctionnaires et des politiciens multilingues. Elle a goûté du rôle de plateforme d’échange en formation et en recherche, qui a suscité localement une industrie de pointe, un marché de l’emploi qualifié, en fin de compte une insolente prospérité pour un pays démuni des ressources naturelles et d’accès à la mer.

Après la rupture de ces négociations, une logique cynique s’imposa à l’UE : en priorité suppression de l’accès helvétique à Erasmus et à Horizon, réduction au statut de pays tiers. Appuyer où cela fait mal. Car il n’y a pas de science nationale qui puisse se maintenir sur ses seules forces. Il n’y a qu’une seule science internationale où ce qui se découvre en Californie est lié avec ce qui se développe entre Genève, Neuchâtel et Lausanne. De même que Berkeley, Stanford et Caltech recrutent leurs étudiants dans le vaste réservoir de talents des Etats-Unis et au-delà, de même UNIGE, UNIL et EPFL doivent accéder librement au vaste réservoir des talents de toute l’Europe. Dans Horizon participer aux grands projets e recherche dotés de 95.5 milliards d’Euros que jadis nous avons dirigés.

Puisque la Suisse n’est pas membre de l’UE, elle en est un pays sujet, obligée de s’aligner sur des décisions auxquelles elle n’a pas participé. Ou plutôt sur des strapontins. Car les liens avec l’Europe existent par la bande. Tableau : l’UE avec 27 partenaires, le sous-ensemble de la zone euro avec 18 de ceux-ci, l’OTAN  avec 28 Etats, qui sont un sous-ensemble de l’UE plus la Norvège, l’Islande, l’Albanie, la Turquie, les USA et le Canada. Il y a encore la bande à part de l’AELE avec 4 Etats, l’Espace Schengen avec 26 Etats dans et hors UE, l’Espace économique européen avec 31 Etats, toute l’UE plus la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, le Conseil de l’Europe avec 47 Etats, l’OSCE avec 57 partenaires. La Suisse appartient à quatre de ces superstructures, hors UE faut-il le préciser. Et puis encore de petits clubs, CEI à trois, OTSC à six, GUAM à quatre. Au-dessus de ce folklorique grenouillage, plane l’ombre gigantesque des Nations Unies, aussi universelles qu’impuissantes.

Ce diagramme d’ensembles enchevêtrés apporte en tous cas un message clair et fort : l’Europe géographique est le lieu d’une diversité de douze coalitions fondées constamment sur l’égoïsme national.  Chaque Etat sélectionne les partenaires, qui promettent plus d’avantages que d’inconvénients, plus de bénéfices que d’investissements, et se tient à l’écart des autres. On est bien loin d’un enthousiasme premier pour la création d’un vaste pays-continent, porteur d’une culture qui a irrigué le monde entier, berceau de cinq langues qui ont conquis la Terre au-delà de leur frontière, origine historique de la science, de l’économie et de la technique planétaires. Ce continent qui a uni la planète est incapable de s’unifier. C’est l’Europe à la petite semaine, qui réunit les gagnepetits et les pense petits dans une commune euphorie politique. Et le plus mauvais élève est bien la Suisse qui se demande ce que l’Europe pourrait bien lui apporter, sans se rendre compte qu’elle pourrait apporter beaucoup, à commencer par la culture du fédéralisme et du consensus.

Car la multiplicité des superstructures européennes ne signifie pas que les objectifs soient atteints. En parole oui, en fait non. Comme douze organisations visent les mêmes buts, aucune n’a de pouvoir de décision. Les assemblées de parlementaires internationaux votent des résolutions qui restent lettre morte faute de pouvoir de décision. Mais qui a eu l’idée folle d’inventer les Etats-Nations ? Un concept d’exclusion et d’enfermement qui suppose l’existence de peuples homogènes sur des territoires intouchables, qui nie le multiculturalisme, qui fragmente le continent en une poussière d’Etats impuissants face à la Russie de Poutine. Nous défendons tellement notre indépendance que nous pourrions finir par la perdre.

Car l’Histoire implacable, impitoyable, machinale ne s’arrête jamais. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les bruits de bottes à l’Est pourraient faire place, tôt ou tard, à une folle irruption de blindés, d’abord en Ukraine, puis dans les pays baltes. Si l’on peut douter que l’OTAN soit résolue à relever le défi,  en revanche on ne peut douter que la Suisse sera tenue pour rien dans un tel affrontement. Elle l’aura choisi. Il sera trop tard. L’élection d’un général par les Chambres réunies n’y changera rien. Cessons de demander ce que l’UE peut faire pour nous et demandons-nous ce que nous pouvons faire pour notre continent.

 

 

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