Une chronique politique sans parti pris

Pourquoi l’esprit partisan est préférable au hasard

 

 

Le 28 novembre, nous voterons une “initiative sur la justice”, dont la gaucherie n’égale que la candeur. Ainsi les initiants osent s’insurger contre le désordre établi, qui arrange le plus grand nombre, ce qui est la pire façon d’entrer en matière. Ils ne supportent pas que les juges fédéraux, élus par l’assemblée fédérale, le soient à proportion de la force respective des partis. Ce qui suppose naturellement que tout candidat se présente sous l’étiquette d’un de ceux-ci et qu’il le sélectionnera pour donner les meilleures chances à sa carrière, plutôt que d’en être r l’adepte.   Celui qui n’est d’aucun parti n’est tout simplement pas éligible. Il n’est ni un citoyen à part entière, ni un juriste convenable. Il lui manque quelque chose d’essentiel.

On ne voit du reste pas en quoi  cet esprit partisan obligatoire vient se mêler à l’exercice du droit. Y aurait-il une façon PLR, PS ou PDC de juger du même cas ? Chaque justiciable aurait-il droit à une sentence dépendant du magistrat qui lui a été assigné ? Le droit serait-il un chiffon de papier et les prétoires des officines politiciennes ?

Ces questions mettent évidemment en cause la séparation des pouvoirs. Dans un Etat bien organisé, les juges sont promus sur base de leur compétence, de leurs actes de service, de leur intégrité et certainement pas de leur complaisance envers tel ou tel corps social. Un juge socialiste n’a pas à privilégier la partie la moins fortunée et un juge UDC de prendre le contrepied. Même s’ils sont les élus d’un parti, les juges fédéraux sont d’abord et exclusivement choisi pour dire le Droit, sans tenir compte de leurs convictions, préjugés ou esprit de classe. C’est du moins ce que tout le monde feint de croire, malgré un système qui ouvre la voie à des verdicts entachés de partisannerie.

Un juge ne se doit-il pas d’être tout d’abord impartial ? L’étymologie de ce mot signifie bien qu’il ne doit pas être enclin à favoriser un parti. Or, ces juges fédéraux ne sont pas nommés à vie ou du moins jusqu’à leur retraite. Ils doivent se faire réélire tous les six ans. La coterie qui les a élus ne se privera pas d’observer les sentences rendues. Pire. Elle exige qu’une part de leur rémunération (jusqu’à 17%!) alimente la caisse du parti. Comment un tel système peut-il assurer l’indépendance, la liberté, l’impartialité, l’intégrité des magistrats ? D’où sort-on la règle selon laquelle tout un chacun est inscrit dans un parti au point de ne pas envisager l’élection d’un candidat qui ne le serait pas.

Même s’il n’entraine pas, dans la situation actuelle, des dénis de justice éclatants, peut-on considérer ce système comme satisfaisant ? Ce n’est pas parce qu’il marche vaille que vaille  qu’il ne peut pas s’enrayer. C’est ce qui est arrivé dès 1932 au système judiciaire allemand qui était de très haute qualité. Hitler s’empressa de le saper en introduisant des juges acquis au nazisme qui prirent en otages les autres magistrats. Durant l’avènement du régime nazi, le tribunal impérial, datant du siècle précédent, fut utilisé pour favoriser le parti. Pendant et après la période du Troisième Reich, il a reçu des critiques sur sa bienveillance avec le système. Il permit  à la plus atroce des dictatures d’obtenir des justifications légales de la plus haute cour.  Bien entendu la Confédération n’est pas aussi précaire que le fut la République de Weimar. Mais le sera-t-elle toujours ? Aujourd’hui encore qui peut imaginer qu’un tribunal russe soit imperméable aux souhaits de Poutine ?

Les initiants défendent ainsi une juste cause. Ce n’est pas parce que la règle de concordance impose en pratique une représentation de tous les partis au Conseil fédéral, à l’exécutif, qu’il faille en faire de même dans les tribunaux, au judiciaire. Un bon juge devrait faire mystère de ses convictions politiques, n’en rien laisser paraître dans ses sentences et ne pas être contraint de financer un parti plutôt qu’un autre. Il n’a pas à être l’obligé de qui que ce soit. S’il ne peut bien évidemment pas recevoir des cadeaux d’un justiciable, il n’a pas davantage à accepter sa nomination initiale du bon plaisir d’un parti politique. Une charge de magistrat n’est ni à vendre, ni à acheter. On peut subodorer dans cette pratique incongrue un relent d’Ancien Régime où les charges s’achetaient systématiquement.

Alors que la cause est juste et que le problème est réel, la solution proposée est de la plus haute maladresse : recourir au hasard pour désigner un vainqueur va à l’encontre de la mauvaise réputation du hasard. Si, entre trois ou quatre candidats acceptables on tirait au sort l’un d’entre eux, rien ne garantit que ce soit le plus compétent, le plus expérimenté, le plus engagé. Celui-là risque d’être éliminé injustement au bénéfice d’un second choix. Alors que dans le système actuel il faut être le suppôt d’un parti, dans celui proposé il faut avoir de la chance. On supprime un marchandage financier pour le remplacer par une roulette. Dans l’un comme dans l’autre système, on ne vise pas le meilleur.

Or c’est bien le seul, objectif que l’on devrait souhaiter. Dès lors qu’on le fasse! Puisqu’une commission décide, selon l’initiative, des admissions au tirage au sort, pourquoi ne va-t-elle pas jusqu’au bout de la démarche en désignant le meilleur ? On suppose bien entendu que cette commission, nommée pour 12 ans par le Conseil fédéral soit essentiellement composée de juristes expérimentés, (politiciens exclus) capables d’apprécier les mérites relatifs des candidats et d’en décider à la majorité.

C’est pareil au système de nomination académique où un futur professeur est choisi sur la seule base de ses compétences par une commission composée, elle aussi, des gens les plus compétents., ses pairs. En principe du moins, on ne nomme pas (ou plus) un professeur parce qu’il est du canton ou parce qu’il est Suisse plutôt qu’étranger. On ne vise pas une répartition du corps professoral entre la gauche et la droite, ni entre protestants, catholiques, francs-maçons, agnostiques, juifs et musulmans. On ne tient pas compte de ces caractéristiques subalternes qui sont tout simplement ignorées. C’est tellement simple et évident qu’il faille s’aveugler pour ne pas voir que c’est la seule façon de recruter les plus compétents. Or le parlement n’a pas rédigé un contreprojet en ce sens. Pourquoi ?

Parce que dans cette affaire le parlement est juge et partie : chaque parti a intérêt à maintenir le système en place puisque celui-ci lui garantit un revenu assuré pour ses finances. On l’a bien vu lors du vote : au Conseil national 191 non et un seul oui ; au Conseil des Etats 0 oui. Cette exceptionnelle unanimité est très suspecte. Pourquoi tous les partis seraient-ils pour une fois d’accord, si ce n’est parce que leurs intérêts les plus bas concordent ?

On ne peut ni cautionner le système actuel, ni accepter celui de l’initiative. On n’a pas à choisir entre la peste et le choléra. On refuse donc de se prononcer. S’il y avait un tsunami de votes blancs, le Parlement serait bien obligé de revenir sur sa véritable décision, celle de me rien changer parce que c’est son intérêt, à lui, pas celui de la Justice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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