L’électricité deviendra de plus en plus le vecteur majeur de l’énergie puisque les combustibles fossiles, pétrole, gaz, charbon devront cesser d’être utilisés afin d’enrayer le réchauffement climatique. Or, c’est un produit à consommer instantanément : il faut que les centrales connectées en réseau couvrent la demande continuellement changeante des consommateurs. Une pointe se produit en hiver vers cinq heures du soir quand les usines tournent encore, que l’éclairage urbain est allumé et que les ménages consomment également. Il faut investir dans suffisamment d’installations pour tenir cette pointe. En revanche de nuit la consommation diminuera et nombre de centrales seront arrêtées.
On conçoit dès lors l’intérêt d’une interconnexion au niveau du continent puisque les pointes ne se produisent pas partout au même moment. De même les centrales thermiques nucléaires ou fossiles ne peuvent être arrêtées et assurent donc la consommation de base tandis que l’hydraulique couvre la pointe : on peut même le stocker par le pompage turbinage. L’énergie renouvelable des éoliennes et des cellules photovoltaïques est aléatoire par nature mais elle constitue le seul avenir du système avec l’hydroélectricité.
La Suisse se trouve donc naturellement au centre du réseau électrique européen. Elle est liée à celui-ci avec plus de 40 lignes électriques transfrontalières. Mais faute d’entente avec l’Europe, elle est exclue des décisions concernant le marché de l’électricité européen. Il s’agit de l’absence d’accord sur l’électricité avec l’Union européenne (UE). Berne et Bruxelles en discutent depuis 2007. En 2018, les négociations ont été gelées, l’UE liant la signature à l’accord institutionnel. Ce dernier ayant échoué, il faut s’attendre à ce que l’accord sur l’électricité ne soit pas trouvé dans les temps ou pas conclu du tout. Ou même que la pénurie d’électricité devienne un argument supplémentaire dans le dialogue de sourd entre Berne et Bruxelles, tout comme la rupture des relations scientifiques.
Par suite de la décision d’arrêter le nucléaire suisse, ou en tout cas de ne pas le prolonger, on a de la peine à produire l’électricité en Suisse, en particulier en hiver. Et nos voisins allemands, qui nous fournissent à peu près 20% de l’électricité en hiver, ont décidé d’arrêter leurs centrales nucléaires et vont arrêter en 2035 leurs centrales à charbon. Donc structurellement, on va avoir de la peine à trouver de l’énergie en Europe et ceux qui ne produisent pas eux-mêmes leur électricité risquent d’avoir des black-out. Or la captation d’énergie renouvelable a pris du retard en Suisse, par suite des recours contre l’éolien.
Ce week-end, le petit monde politique s’est enfin agité au sujet d’une pénurie d’électricité prévisible en 2025. On a soudain découvert une des facettes de la transition climatique dans laquelle la consommation d’électricité va augmenter considérablement. Parmelin s’est montré pessimiste et Sommaruga rassurante. Il n’y a manifestement pas d’unanimité au Conseil fédéral. La pandémie a montré de manière impressionnante à quel point il est important de se préparer au mieux aux crises. Si l’électricité venait à manquer, la Suisse serait paralysée : pas d’activité des entreprises, pas de chauffage, pas de transport.
Aussitôt deux solutions dérisoires ont été agitées. La gauche qui ne peut se parjurer sur le nucléaire a proposé beaucoup de petites centrales à gaz, ce qui revient à renoncer à l’objectif d’éliminer les combustibles fossilesPour la droite et l’économie, cette impasse signifie le retour au nucléaire. En même temps le président Macron s’en faisait l’avocat en France avec l’excuse que cette nouvelle génération serait sûre. Cela signifie simplement que le souvenir de Tchernobyl et de Fukushima s’estompe dans la mémoire politique. Il reste qu’il n’y a pas de risque zéro et qu’au prochain accident le nucléaire redeviendra inacceptable. Et en attendant il n’y a pas de solution pour les déchets.
La situation sur le plan mondial continue à empirer. De 1973 à 2018, la production d’électricité a augmenté de 6 131 TWh à 26 619TWh (Le T signifie mille milliards). La proportion de charbon est restée la même, celle de nucléaire a triplé, celle d’hydraulique est passée de 20 à 15%, celle du renouvelable n’atteint pas 10%. Et les émissions de CO2 ont plus que doublé.
Conclusion : nous ne sommes nulle part. La consommation augmente, la production de CO2 augmente, le renouvelable est anecdotique, la fourniture par l’UE est compromise. On le sait depuis longtemps dans le milieu technique, on le découvre avec stupéfaction et bisbille dans le monde politique.
Anecdote : en janvier 2011 le PDC tenait ses journées d’étude à Brig, en présence de Doris Leuthard. A cette occasion le signataire de ces lignes a exhibé le plan d’évacuation en cas d’accident majeur à Muhleberg, soit l’abandon définitif de Berne, Fribourg, Neuchâtel et Bienne, villes rendues invivables. Cela n’a intéressé manifestement personne : sur ce sujet un ingénieur électricien n’est bien évidemment pas crédible car il en sait trop. En mars Fukushima subit un accident majeur. Quelques semaines plus tard la conseillère fédérale annonce l’abandon du nucléaire pour 1934. Le 9 décembre 2014, le National approuvait et en 2017 le peuple suivait. Reviendrons-nous en arrière ?