Une chronique politique sans parti pris

Faut-il démanteler l’Eglise catholique ?

 

Tel a été le thème acerbe de l’émission Infrarouge de mardi passé. Il a été remarquablement formulé car le verbe démanteler n’implique pas la suppression de cette Eglise ou l’interdiction d’exercer ce culte, mais un changement radical de direction. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec deux entreprises majeures, Swissair et UBS, dont la direction a été remplacée pour que ces firmes puissent poursuivre leur mission dans une situation de faillite. Toute institution, commerciale ou culturelle, est d’abord constituée de ses employés et de ses clients. Les directions ne font que passer.

Ainsi en est-il d’une Eglise dont l’étymologie en grec signifie simplement communauté. L’Eglise catholique n’est pas identifiable à sa hiérarchie, ni même à son clergé, mais à ses fidèles. Encore faut-il définir ce que l’on entend par ceux-ci. Environ 13% des catholiques en Suisse participent à un service religieux au moins une fois par semaine. C’est le cas de 72% des évangéliques. Cette dernière Eglise semble correspondre donc mieux aux attentes des habitants de ce pays.  Pourquoi? En quoi?

Le rapport de la Ciase en France a estimé à 330 000 le nombre d’abus sexuels commis durent les 70 dernières années par des prêtres ou laïcs engagés dans les activités de l’Eglise catholique. Il est évident que si la même découverte était faite dans une organisation quelconque, sportive, éducative, commerciale, la direction de celle-ci serait instantanément remerciée sans préjudice d’éventuelles suites judiciaires. Pour l’instant, les pouvoirs publics hésitent à appliquer le même traitement à l’Eglise catholique dont le rôle dans l’Histoire de France est majeur. Et surtout dans une Eglise qui se réclame d’un lien vertical avec le divin. Au point d’annoncer que le secret de la confession, loi divine, serait au-dessus des lois de la République pour se rétracter ensuite.

Devant l’ampleur du scandale, certains estiment qu’il faut au minimum une démission collective de tous les évêques. Ce serait l’application standard de ce qui se passe lors du dysfonctionnement d’une direction dépassée par les événements. Mais si cela se résume au remplacement d’une centaine de prélats, recrutés d’une certaine façon, par autant de clercs formés dans le même moule, on n’aura pas avancé vers une solution. Puisque l’Eglise est majoritairement formée de laïcs, il faut leur accorder le pouvoir qui leur a été jusqu’à présent refusé.

Il ne s’agit pas ici de dire à la France ce qu’elle doit faire mais de susciter en Suisse la même analyse par une commission indépendante. Il semble qu’elle sera fonctionnelle dès le début de 2022, tandis que fonctionne déjà une commission d’indemnisation des victimes déclarées. Il est donc trop tôt pour mesurer l’impact de ses travaux, mais la similitude des Eglises catholiques dans les deux pays oblige à envisager le cas d’un révélation aussi anormale et inattendue. Puisque le rapport entre les populations des deux pays est de l’ordre de huit, on pourrait craindre de découvrir de l’ordre de 40 000 cas d’abus. On peut cependant se rassurer car la Suisse comporte nombre d’Eglises réformées où il semble que le problème, même s’il ne peut être inexistant, n’a apparemment pas la même ampleur.

Et donc cette différence, si elle est confirmée, appelle un alignement de l’Eglise catholique sur l’organisation interne des Eglises réformées, sur au moins trois points, qui ne touchent ni au dogme, ni à la morale mais à la gestion la plus élémentaire.

1/ La coïncidence de tous les pouvoirs entre les mains d’une personne, évêque ou pape, va à l’encontre d’une pratique commune aux Etats de Droit démocratique, tellement féconde :  la séparation des pouvoirs, qui encourage un équilibre des instances et modère les abus. Dans certaines Eglises réformées il n’y a pas d’évêques ; donc toutes les prérogatives sont dévolues au synode. Ce dernier peut aussi devenir le lieu d’une confusion des pouvoirs comme certains incidents le révèlent : ce n’est pas une solution miracle.  Il ne sert non plus à rien de placer un synode en parallèle avec l’évêque si ce dernier conserve tous les pouvoirs. Une pratique simple consisterait à donner à un  synode tous les pouvoirs législatifs et de conserver à l’évêque le pouvoir exécutif. De même les tribunaux ecclésiastiques devraient disposer du droit de poursuivre d’office les crimes dont ils ont connaissance sans être soumis à une autorisation épiscopale. Il faut soulager les évêques d’une tâche qui dépasse manifestement leurs forces.

2/L’Eglise catholique de rite latin est la seul Eglise chrétienne qui recrute son clergé uniquement parmi des hommes tenus au célibat. Les Eglises catholiques de rite oriental acceptent les hommes mariés. Les Eglises réformées et anglicane admettent en plus les femmes au ministère sacerdotal, voire épiscopal. Or ces Eglises semblent ne pas être affectées de façon aussi systématique par la pédocriminalité. Ce rapprochement tend à prouver qu’un clergé strictement masculin et contraint au célibat commet en son sein des abus sexuels, qui sont loin d’être exceptionnels. Cette évidence peine à s’imposer car elle induirait la suppression immédiate de l’obligation du célibat, d’institution tardive. Une réforme du clergé catholique devrait comporter le recrutement d’hommes et de femmes, mariés ou non.

3/ Les Facultés de Théologie catholique fonctionnent sous la surveillance de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi romaine qui inflige des sanctions aux enseignants allant jusqu’à l’interdiction d’enseigner et de publier. En ont été victimes les plus éminents théologiens. Aucune discipline scientifique ne peut progresser dans cette situation ; il n’existe pas de contrôle centralisé des chercheurs en physique, biologie ou mathématique, disciplines qui s’en portent d’autant mieux. Il semble donc élémentaire d’instaurer la liberté académique comme allant de soi pour les chercheurs en théologie.

Dans l’Etat actuel des choses, seule la première proposition a quelques chances de recevoir un accueil précaire. Les deux suivantes ne sont que de la musique d’avenir, qui pourrait néanmoins advenir plus tôt qu’on ne l’espère. A terme elles s’imposeront inévitablement car elles conditionnent la survie de l’institution.. Il est donc important de les formuler dès maintenant dans toute leur rigueur. De même des revendications syndicales, politiques ou sociétales ont été postulées bien avant qu’elles ne soient accordées et se révèlent bénéfiques.

La désaffection des fidèles est patente dans l’Eglise catholique. Il faudrait étudier le rôle qu’a joué l’épidémie pédophile, dissimulée mais présente. Il n’y a pas que 330 000 victimes, il y a autant de familles qui refusent désormais de confier leurs enfants à une institution déshonorée. Si l’analyse dévoile bien le caractère systémique de l’épidémie, qui est en fait universelle, en Allemagne, Irlande, Etats-Unis…, il ne faudrait pas en déduire qu’elle est systématique. Elle n’a frappé qu’une minorité du clergé catholique tandis que l’immense majorité s’est dévouée sans compter et est aujourd’hui déshonorée à tort. C’est une autre catégorie de victimes. Errare humanum est, perseverare diabolicum.

 

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