Une chronique politique sans parti pris

Le fantasme religieux des OGM

 

 

« La culture d’organismes génétiquement modifiés (OGM) n’est autorisée en Suisse qu’à des fins de recherche. Un moratoire sur l’utilisation d’OGM dans l’agriculture est en vigueur depuis l’acceptation d’une initiative populaire en 2005. Il a été prolongé trois fois par le Parlement et arrivera à échéance en décembre 2021. Le Conseil fédéral demande une nouvelle prolongation, jusqu’à fin 2025. »

Le Conseil fédéral n’est pas téméraire. S’il s’avisait de ne pas prolonger le moratoire, le peuple l’exigerait par voie de votation. En la matière, les organes élus, à commencer par le parlement fédéral se sont clairement prononcés dès 2001 pour l’introduction contrôlée de la culture des OGM encadrée par une loi très restrictive. Rien n’y a fait : le peuple n’en veut pas, cela ne sert à rien d’insister. Le moratoire sur les OGM est une séquelle du régime de démocratie directe, comme l’interdiction des minarets et de la burqa.

Ce refus populaire helvétique est d’autant plus étonnant qu’il se limite d’une part à l’Europe et d’autre part à l’alimentation. Ni en Amérique, ni en Asie, l’utilisation d’OGM en agriculture n’a suscité cette levée de bouclier. « 181,5 millions d’hectares de cultures OGM ont été cultivés en 2014 dans le monde. Les cultures OGM représentent entre environ 10% des surfaces agricoles de la planète. 28 pays en cultivent notamment les Etats-Unis, l’Argentine, le Brésil ou encore le Canada, les plus gros producteurs. En Europe, l’Espagne, la Roumanie et la Slovaquie en cultivent également. »

Par ailleurs, les applications médicales n’ont fait nulle part l’ombre d’une réserve éthique . La première protéine recombinante d’intérêt pharmaceutique ainsi obtenue, dès le début des années 1980, est l’insuline humaine pour soigner les diabétiques, produite dans la bactérie Escherichia coli. Contrairement aux insulines extraites de pancréas animaux, celle-ci est véritablement de l’insuline humaine. Depuis, de très nombreuses protéines-médicaments sont produites par ce procédé : hormone de croissance, EPO (traitement des insuffisances rénales), facteurs de coagulation, interleukines (traitement de certains cancers)… Les cellules utilisées ne sont pas toujours des bactéries ; il s’agit aussi de levures (champignons unicellulaires, comme la levure de boulanger), de cellules de mammifères (d’ovaires ou de reins de hamster, cellules humaines de rétine, cellules humaines cancéreuses du col de l’utérus), de cellules d’ovaires d’insectes, de cellules souches embryonnaires aviaires.

En premier lieu, essayons  de définir de quoi l’on discute. La définition la plus simple serait la suivante : on appellerait organisme génétiquement modifié (OGM) un organisme dont l’ADN a été modifié par l’homme. Bien entendu c’est faux. Car, il n’y a dans une ferme aucun animal ou aucun végétal, qui ne soit pas un OGM au sens littéral du terme, obtenu par croisement et sélection par les paysans dès le néolithique, puis par les stations officielles d’essais agronomiques. Il n’existe dans la Nature ni vaches, ni blés, ni vignes dans leur définition actuelle.

Si on s’en tenait à ce que la Nature nous offre, nous en serions toujours à la chasse et à la cueillette, c’est-dire que la Terre subviendrait médiocrement aux besoins de quelques millions d’individus. Sans OGM, l’espèce humaine ne peut survivre dans sa définition actuelle. En sens inverse, si l’on abandonne un élevage sans soin, les bêtes périssent, si des grains de maïs ou de blé sont semés “naturellement”, les plantes sont étouffées par les mauvaises herbes. Nous vivons en symbiose avec des animaux et des plantes dont nous ne pouvons nous passer pour nous nourrir et qui ne peuvent se passer de nous sans dépérir. L’élevage et l’agriculture sont deux vastes entreprises techniques, qui ont bouleversé non seulement le paysage mais qui ont aussi métamorphosé le vivant, la relation essentielle entre l’homme, les plantes et les animaux. La technique agronomique des OGM s’inscrit dans cette démarche.

Et donc la définition légale de la loi suisse est très alambiquée, voire sournoise et incohérente. Elle réserve le terme d’organisme génétiquement modifié au résultat d’opérations humaines que la nature ne ferait pas d’elle-même.

« Par organisme génétiquement modifié, on entend tout organisme dont le matériel génétique a subi une modification qui ne se produit pas naturellement, ni par multiplication, ni par recombinaison naturelle. » (Loi suisse sur le génie génétique, art5 al.2)

Mais bien entendu la Nature ne fait pas d’elle-même des opérations de sélection au sens souhaité par les hommes. Le blé actuel a été sélectionné par les hommes pour que les grains restent attachés à l’épi, afin qu’on puisse les récolter, ce qui n’est pas dans l’intérêt naturel de l’espèce dont les semences doivent au contraire se disperser.

Le blé moderne est le résultat d’une construction génétique unique : il contient le génome complet de trois espèces différentes Si un laboratoire, partant des espèces sauvages, reconstruisait un blé moderne par des techniques OGM, celui-ci serait légalement interdit à la culture. De même, si par croisement on parvenait à reproduire une espèce OGM déjà existante, les semences dites naturelles seraient autorisées, mais pas celles produites en laboratoire, bien qu’elles soient identiques. En d’autres mots la définition légale ne porte pas sur le résultat, mais sur le procédé d’obtention. En conclusion, il n’y a pas de définition de l’OGM qui tienne la route.  C’est du verbalisme juridique. On ne sait pas de quoi l’on parle.

Bien plus qu’un problème technique, le génie génétique soulève donc une objection culturelle. Nonobstant la consommation d’OGM massive depuis une génération, aucun risque pour la santé humaine ne s’est manifesté malgré l’évocation de possibles allergies, cancers, toxicités. Sous couvert de risques potentiels mais non manifestés des applications du génie génétique, se dissimule un problème essentiel : l’homme hésite au moment de toucher à la vie et de la modeler selon son désir, car il usurperait la position du Créateur et deviendrait totalement responsable de son destin. Que la personne soit croyante ou non en un Dieu personnel ne change rien à ce sentiment d’effroi devant la manipulation de la vie. C’est le même réflexe qui entraine le refus de la vaccination pour près de la moitié de la population de la Suisse : ce n’est pas seulement le résultat de l’ignorance bien réelle de la biologie, mais aussi d’une croyance archaïque : si je meurs, c’est que mon heure a sonné, il est vain et sacrilège de se révolter.

Dès lors, il faut se rendre compte de l’état réel de la majorité de l’opinion publique. Elle n’a aucune idée de génétique, elle ignore ou refuse les mécanismes de l’évolution selon Darwin. On peut le déplorer mais le pouvoir politique doit en tenir compte. Il n’est du reste pas le pouvoir puisqu’il ne peut décider en la matière. Il est plutôt dans la position du courtisan d’un souverain absolu, auquel il faut qu’il passe ses caprices et qu’il fasse des courbettes.

Tout ce que fait la Nature est bon. Elle n’a commis qu’une seule erreur, l’homme. Telles est la croyance non seulement des écologistes affirmés mais de la majorité du peuple suisse. Le refus des OGM n’est donc pas un choix technique, mais une profession religieuse, plus ou moins influencée par le premier chapitre de la Genès : un Dieu créateur crée toutes les espèces végétales et animales qui deviennent sacrées de ce fait dans leur définition.

 

 

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