Une chronique politique sans parti pris

Un échec prévisible et prémédité

 

 

Le 13 juin  est arrivé et  nous avons voté oui au  referendum opposé à la loi sur le CO2. Il se présentait sous de mauvais auspice car la loi était attaquée par la droite extrême qui lui reprochait de prélever des taxes et par l’extrême gauche qui la critiquait pour son manque de radicalité.

Le but prétendu au terme de 2050 était d’atteindre le renoncement aux énergies fossiles, pétrole et gaz, pour lesquels la Suisse dépense 80 milliards par an en importations, alors que les énergies renouvelables pourraient être captées sur le sol national pour nous en passer.

On aurait pu interdire le chauffage au mazout et les voitures à essence, en prévoyant une période de transition suffisamment longue et en appuyant des solutions de rechange. On aurait pu instaurer un rationnement, comme chaque fois que l’on est confronté à une pénurie, afin que les moins favorisés ne soient pas prétérités. On n’en a rien fait. Le parlement, aveugle sur la situation réelle,  a privilégié le recours au marché, cette main invisible quasiment déifiée, qui arrangerait tout sans que l’on doive se donner la peine de réfléchir.

Le parlement fédéral élabora une loi sur le CO2 telle que les inconvénients de la transition climatique affecteraient surtout les moins favorisés. Car, la sauvegarde de l’environnement et la justice sociale sont deux objectifs qui ne coïncident pas spontanément. L’exemple historique le plus récent est celui des gilets jaunes. Dans la France de 2018, ce mouvement a explosé en réaction à une augmentation des taxes sur l’essence, qui était programmée en vue d’en diminuer la consommation, selon la seule logique de la protection de l’environnement. Cette initiative négligeait le fait manifeste que, pour beaucoup de travailleurs, la voiture constitue le seul moyen d’accéder à leur emploi et qu’ils n’ont pas la possibilité de supporter des taxes accrues avec de faibles salaires.  Cette prise de conscience élémentaire se trouvait hors de portée des fonctionnaires et des parlementaires, tant français que suisses.

Et cependant la transition climatique tout comme l’épidémie de coronavirus font partie du mécanisme le plus élémentaire de la Nature. Toute modification de l’environnement agit comme un filtre. Laissée à elle-même, elle avantage les plus évolués pour qu’ils survivent. C’est conforme à la cruelle logique de l’évolution selon Darwin. L’épidémie agit selon le même mécanisme en triant entre ceux qui peuvent se faire vacciner et les autres. D’abord Israël, puis la Suisse, puis l’Inde.

Une politique intelligente devait donc prendre en compte deux objectifs difficilement conciliables : sauver la planète ; protéger les populations défavorisées. Dans l’optique de l’évolution biologique naturelle, elles seraient éliminées. Mais l’évolution spirituelle de l’espèce humaine exige peut-être de dépasser cette logique. Dans quelle mesure, avec quels moyens, selon quels critères ? Personne n’y a réfléchi sérieusement à Berne.

Et donc : on imposa une taxe de 30 à 120 francs par vol aérien ; l’essence augmenterait par taxe de 5 à 7 centimes le litre ; la taxe sur le mazout pourrait augmenter le prix du litre de 30 centimes. Cela n’empêchera nullement les plus favorisés de faire leur course du Week-End à Londres ou New York, de chauffer leurs vastes demeures et de rouler dans de grosses voitures. En revanche les familles au budget serré devront renoncer à ces facilités.

Bien entendu cette objection n’a pas échappé tout à fait à Berne. Après simulation sur le résultat pour une famille de deux enfants, on décida de compenser ce surcoût par une redistribution via l’assurance-maladie. On atteint ici le comble de l’absurde : renchérir les combustibles fossiles par l’augmentation de leurs prix et simultanément fournir un revenu supplémentaire qui annule ou atténue cette mesure. Cette loi allait non seulement irriter la frange la moins favorisée de la population, mais elle contenait en elle-même de quoi ne pas servir à grand-chose. Ce n’est pas par le marché que l’on va résoudre un problème de société.

La loi sur le CO2 envisageait donc comme moyen essentiel le renchérissement de certaines prestations. Ces taxes supplémentaires sont négligeables pour ceux qui en ont les moyens et qui ne changeront pas leur comportement. Mais elles pèseraient tellement lourd sur ceux qui n’en disposent pas qu’ils devront renoncer à certaines prestations. Les sauts de puce pour shopping d’une ville européenne à l’autre cesseront d’être massifs si les billets valent plus que quelques dizaines de francs. Le voyage en avion redeviendrait ainsi ce qu’il fut : une prestation de luxe réservée à ceux qui font partie de la classe supérieure. Telle fut sinon l’objectif, du moins le résultat évident de cette loi

Le chauffage et les charges des locataires augmenteraient. Les trajets en voiture pour aller au travail mangeraient une partie des salaires les plus bas, pour des travailleurs qui ne peuvent pas faire du télétravail. Il y aurait eu peut-être des mécanismes de compensation, mais ils n’intéresseront que quelques défavorisés. Cette loi prenait en otage la classe moyenne, celle qui paie des impôts et qui n’est pas subventionnée sous une forme quelconque, soit à peu près le tiers moyen de la population.

Est-ce que la production de CO2 aurait diminué pour autant ? Personne ne peut prévoir quoi que ce soit, face à l’élévation de la température dont ne connaissons pas l’évolution future et à un système économique que personne ne comprend plus. Car ceux qui polluent le plus, qui ont de grosses voitures, qui voyagent beaucoup en avion, qui occupent de grands logements, ne seront pas vraiment incités à diminuer leur consommation. Cette loi favorable aux plus gros pollueurs se conforme aux préjugés de l’assemblée parlementaire et des milieux d’affaire, à savoir que la transition climatique n’est pas un sujet sérieux. On fabrique une loi déséquilibrée pour prétendre avoir fait quelque chose.

Le consommateur intervient chaque fois qu’il ouvre un interrupteur, démarre une voiture, règle le thermostat de son habitation, remplit le panier du ménage. La sauvegarde de la planète dépend d’une foule de décisions menues, prises par tous. Il s’agît d’une véritable ascèse. Il faut renoncer à la satisfaction de paraître plus prospère que son voisin en acquérant une voiture trop puissante ou le dernier gadget électronique, en passant ses vacances aux Maldives, en suivant la mode vestimentaire, en achetant pour la seule satisfaction d’acheter, en consommant pour consommer, en gaspillant pour se prouver qu’on en a les moyens, en s’imaginant que l’intérêt du gaspillage est de créer des emplois.

Gérer la transition climatique ne se résume donc pas à réduire les émissions de CO2, mais à inventer une nouvelle société, une nouvelle économie, un nouveau système technique, une nouvelle culture. Quelles seront ses composantes ? Pour surmonter la barrière représentée par l’univers de la publicité, propagande implicite pour une économie mortifère, sur quels agents peut-on compter ?

Le plus important serait sans doute la communauté scientifique qui ne cesse d’émettre des mises en garde, plus ou moins bien relayées par les médias. Cependant la Science est perçue comme mensongère par une fraction de l’opinion publique. L’ignorance est prônée : la compétence pointue sur un sujet précis entrainerait l’incompétence sur tout le reste.  Selon l’image que s’en fait le peuple, un savant est un grand distrait. Il devrait s’abstenir d’intervenir dans un débat politique.

La pandémie imprévue que nous subissons n’est qu’une répétition générale – et en ce sens une pédagogie- de ce qui nous attend vraiment, la transition climatique, autre rappel à l’ordre de la Nature. Cette dernière ne s’arrêtera pas comme une épidémie, mais elle s’aggravera, jour après jour. Pour lutter contre celle-ci, pour la prévenir, pour l’atténuer, il faut renoncer le plus vite possible à l’usage des combustibles fossiles et arriver à la décarbonation totale. Par un double mouvement : réduire la consommation par exemple à 2000W par habitant, l’approvisionner par des énergies renouvelables. Tel est l’objectif affiché par le Conseil fédéral suisse pour le -beaucoup trop- long terme, soit l’année 2 100.

Toujours dans l’objectif affiché par le Conseil fédéral, les trois quarts de la puissance de 2000 Watts proviendraient du renouvelable, hydraulique, éolien, solaire, géothermique, biomasse et le reste d’énergies fossiles, ce qui entraînerait encore l’émission d’une tonne de CO2 par an et par habitant au lieu des 4.7 tonnes rejetées actuellement.

D’une part, la législation devra introduire des mesures contraignantes (interdiction de chauffages électriques ou à mazout, promotion des voitures électriques, etc.). D’autre part, chaque consommateur peut anticiper ces décisions et puis les soutenir lorsque le législatif en débattra. Voici un demi-siècle, le pouvoir d’achat et la consommation d’énergie n’étaient que le tiers de ce qu’ils sont actuellement en Europe. Il est donc possible d’atteindre ce but. Mais c’est impossible si cela s’opère contre la volonté du peuple.

Il faut donc inventer une nouvelle culture dont on aperçoit les prémices : elle favorisera la sobriété heureuse qui est le contraire de la pénurie infligée. Il faut se persuader que le but de l’existence est de se sentir parfaitement bien, en évitant de s’imposer des objectifs de consommation démesurés. Il faut sortir de la contre-culture représentée par la publicité, par la mode, par les revues sur papier glacé, par la glorification des « peoples », par des séries télévisées. Apprendre à se satisfaire de peu, puisqu’un jour on ne pourra plus produire que ce peu et le distribuer à tous, s’il est honnêtement partagé.

Car, il demeure des fractions de l’opinion publique et des décideurs, qui ne sont convaincus ni de la transition climatique, ni de l’épidémie de coronavirus ou qui prétendent ne pas l’être. C’est une application de la règle éternelle : les hommes ne veulent pas savoir que leur civilisation est mortelle et encore moins qu’ils organisent son suicide.

La loi sur le CO2  fut  soumise à un vote populaire, qui se déroula en toute méconnaissance de cause : qui a lu une loi en 87 articles s’étalant sur 39 pages?  Elle a fédéré la droite qui trouve que l’on en fait trop et la gauche que l’on n’en fait pas assez. Cette double opposition prouve une seule chose : la loi était la moins mauvaise que puisse promulguer un Conseil fédéral impuissant et un parlement divisé. Non pas au sens où elle aurait été en quelque mesure efficace au point de vraiment réduire l’empreinte CO2 de moitié en 2030. On n’en sait rien mais on peut en douter. Cette loi fut la seule que nos institutions puissent élaborer dans un contexte de confusion mentale. Elle privilégiait l’incitation à la contrainte, elle aurait pesé plus sur les pauvres que sur les riches, elle décèle une faille du pouvoir.

 

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