Une chronique politique sans parti pris

Une fausse bonne idée à la mode

 

A terme rien n’est durable, ni l’espèce humaine, ni la planète, ni l’Univers. Mais pour un humain vivant il suffit que tout subsiste pendant le siècle qui suit. Il est bien moins préoccupé de la fin du monde que de la fin du mois ou de la disparition de l’espèce que de la sienne.

Cette myopie temporelle introduit des erreurs de perspectives très curieuses. En toute rigueur, les seules énergies apparemment renouvelables sont celles de la géothermie et du Soleil.  Celle-ci tombe jour après jour sur la planète, peu importe qu’elle soit récupérée par des éoliennes, des barrages hydroélectriques ou des cellules photovoltaïques. Elle n’est pas pourtant éternelle, puisque le Soleil s’éteindra lorsque son combustible nucléaire sera épuisé. Mais ce n’est pas notre problème : c’est juste un pense-bête : rien ne dure.

Il en est ainsi de la filière biomasse dans sa version bois. Si on abat un arbre et qu’on le réduit en granulés (dits erronément pellets) pour une centrale électrique, un chauffage domestique ou un chauffage urbain proches, on ne compensera pas la production de CO2 de sa combustion en plantant un nouvel arbre, car celui-ci mettra des décennies pour emmagasiner la totalité du CO2 émis. Sur le court terme, on est perdant. D’autant que la combustion du bois émet une quantité de particules fines  nocives pour la santé.

En résumé le remplacement d’une centrale électrique au charbon par une centrale à bois n’est pas une bonne opération dans le court terme. Or, c’est celui-ci qui importe parce que l’impéritie du siècle précédent a créé une situation d’urgence qu’il faut pallier sur deux ou trois décennies. Si nous en étions restés au fonctionnement antérieur à la révolution industrielle et si l’on s’était limité à la production de forêts demeurées stables, on aurait pu continuer à vivre intégralement dans la filière bois, aussi bien pour se chauffer que pour faire fonctionner une forge. En inaugurant la combustion du charbon, du pétrole et du gaz, on a créé une distorsion dans l’approvisionnement : en deux siècles on a réinjecté dans l’atmosphère des milliards de tonnes de CO2 qui avaient été emmagasinées durent des périodes géologiques s’étendant sur des dizaines de millions d’années. Les forêts tropicales du Paléocène ont emmagasiné le CO2 existant et fait baisser la température de la planète. Les combustibles fossiles, engendrés à l’époque, ont permis le développement industriel et l’explosion démographique mais c’était aussi une fausse bonne idée, qui ignorait l’influence sur le climat

Cet aveuglément sur la dimension temporelle de la production de CO2 se poursuit donc en toute logique pour la filière bois. On ne peut abattre des arbres pour produire de l’énergie que dans une certaine mesure dépendant du soin que l’on prend pour replanter. Il faut donc une approche globale du problème avec une récupération instantanée de l’énergie solaire par cellules, barrages et éoliennes et une récupération par le bois sur le moyen terme de la décennie. Mais bien évidemment, la superficie des forêts ne peut être réduite car elles constituent un puit de carbone. Et la gestion doit être effectuée dans un esprit de proximité car le transport de granulés ou le transfert de l’énergie électrique sur de longues distance constitue aussi un facteur de gaspillage.

Nous avons en main tous les moyens et toutes les connaissances pour gérer correctement la transition climatique. Encore faut-il qu’ils soient incorporés dans une stratégie cohérente, au minimum décidée au niveau national, au maximum au niveau planétaire. La Suisse bénéficie d’un principe de subsidiarité excellent pour résoudre les problèmes du quotidien, mais pour la gestion de l’énergie la Confédération est la mieux placée en liaison avec les pays voisins.

Toutes ces considérations heurteront de front certains esprits accoutumés au siècle précédent. On lit encore régulièrement des lettres de lecteurs dans la presse locale qui nient l’effet de la production de gaz à effet de serre. La votation du 13 juin est périlleuse pour la loi sur le CO2, certes imparfaite mais qui est la moins mauvaise que puisse fabriquer un parlement profusément ignorant du problème. Si elle était refusée, cela signifierait que la majorité des votants (qui n’est pas et de loin la majorité des habitants) ne comprend rien à la situation d’urgence qui s’est créée et qui provient de la nature même de notre développement technique et économique. Un changement de civilisation ne se décrète pas mais il se mérite.

 

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