Une chronique politique sans parti pris

La discrimination positive

 

Rien n’est plus odieux que la discrimination négative. Eliminer un individu sur base de son appartenance à un groupe fondé sur l’appartenance sociale, la couleur de la peau, la pratique d’une religion, le sexe viole son droit élémentaire à accéder à un emploi, à des études, à un logement. Les lois répriment avec plus ou moins d’efficacité ces discriminations rampantes dans tous les domaines. De là à croire que chacun possède les mêmes chances dès sa naissance est une illusion bien-pensante.  Il demeure la plus universelle, la discrimination salariale entre hommes et femmes.

La Suisse affronte relativement bien ce défi. Il est possible de devenir chef d’Etat sans avoir mis les pieds à l’université, en étant un bon vigneron ou une excellente pianiste, tandis qu’en France il vaut mieux sortir de l’ENA et en Angleterre d’Oxford. La discrimination négative a tellement mauvaise presse que l’on en vient à la confondre avec l’autre face de la médaille, la discrimination positive, celle qui donne plus de chances à ceux qui ont fait un effort. Les deux concepts se mélangent parce qu’ils recouvrent des situations où ils sont imbriqués. Quels que soient les efforts de l’école, il demeure toujours une fraction d’illettrés de quelques pourcents de la population. Les uns se sont rebellés contre l’école, les autres n’en ont pas fait bon usage faute d’un milieu familial pour les soutenir.

La question revient en force au sujet des vaccinés contre le Covid. Faut-il leur permettre de mener une vie normale en allant au théâtre et au restaurant, en utilisant les transports publics sans masques, en franchissant les frontières sans mise en quarantaine ? Pour l’instant la réponse est vague et les autorités auront bien du mal à faire accepter ce genre de discrimination. Elle viole apparemment le droit fondamental de ne pas se faire vacciner. Or, ce droit n’est déjà pas absolu. Le vaccin contre la fièvre jaune est exigé en vertu du règlement sanitaire international, qui lie 196 pays dans le but de limiter la propagation des risques pour la santé publique.  Certains pays africains l’imposent comme condition d’entrée sur leur territoire, même si le voyageur ne fait que transiter par un aéroport. Personne n’est obligé de voyager en Afrique mais celui qui l’entreprend doit se plier à des règles sanitaires. Ce n’est pas une discrimination. C’est une mesure fondée de salubrité publique.

Le refus de la discrimination positive mène à des situations absurdes. On cite le cas d’un EMS dont tous les résidents sont vaccinés et doivent cependant prendre leur repas en chambre. Les tests et les quarantaines applicables aux étrangers pénétrant en Suisse ne prévoient pas d’exception pour ceux qui seraient vaccinés.

Ces règles vont évoluer selon les exigences d’un bon sens élémentaires. On ne peut pas continuer à interdire le fonctionnement des restaurants, des théâtres, des cinémas, des stades parce que toute la population n’a pas pu se vacciner ou refuse de le faire. Il ne reste plus qu’une faible marge d’incertitude sur l’effet du ou des vaccins : si le vacciné est protégé de la contamination à 95%, on ne sait pas encore s’il ne peut plus transmettre lui-même le virus, même si cette hypothèse est la plus plausible. On ne sait pas non plus quelle protection est garantie à l’égard des variants. On ne parle plus guère des éventuels effets secondaires de la vaccination. Mais la marge d’incertitudes se rétrécit de plus en plus.

A fermer sans nécessité impérieuse des restaurants qui pourraient ne servir que des vaccinés selon la liberté du commerce, on discrimine et ces entreprises, et leurs clients potentiels. Les non vaccinés empêchent les vaccinés de vivre et leur font subir de la sorte une discrimination que l’on peut à loisir baptiser de positive ou de négative. Dans quelques mois, la force des choses fera que chacun portera sur soi sa carte d’identité et son certificat de vaccination et considèrera cette exigence comme légitime. Personne n’est obligé de fréquenter un restaurant, un théâtre ou un stade mais celui qui le souhaite devra se plier à des règles de salubrité publique.

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