Une chronique politique sans parti pris

La cérémonie de vaccination

 

Dans ma longue vie, j’ai connu bien de cérémonies qui m’ont marqué de façon indélébile. Certes, je n’étais pas conscient lors de mon baptême, mais très lucide lors de ma première communion et un peu frustré de n’avoir pas de ce fait reçu une illumination instantanée. Je me souviens de la réception de mes diplômes, bien que ce fusse sans beaucoup de faste. Je ne puis oublier mon expulsion du Congo avec la mitraillette d’un soldat mutiné braquée sur ma poitrine, une cérémonie comme une autre mais qui marque. Je me rappelle le 7 décembre 1999 quand j’eus l’honneur immérité de présider la séance d’ouverture du Conseil national au seul bénéfice de ma qualité de doyen d’âge.

Mais je ne m’attendais pas à ce que ma première vaccination contre le Covid soit aussi solennelle. La routine de la vaccination contre la grippe dans le cabinet du médecin local se passe sans ostentation : une piqure, un sparadrap, une mention dans le carnet de vaccination par l’assistante médicale, cela ne prend que quelques minutes. Et le rendez-vous s’obtient dans la semaine par un coup de téléphone. Pour le Covid, grâce à la possession d’un ordinateur, je réussis à obtenir un rendez-vous au bout d’un mois.

Dès mon arrivée au CHUV, je fus entraîné dans une filière virevoltante : un assistant administratif pour vérifier que je suis bien convoqué et me demander si j’ai des allergies ; je réponds honnêtement que j’ai failli une fois trépasser pour une piqure de guêpe ; du coup je reçois un carton orange ; à travers les méandres du lieu, je suis une piste fléchée par de petits points jaunes au sol ; cela me  mène à un premier barrage où inquiet des suites de la piqure de guêpe, un médecin me condamne après la piqure à un délai d’une demi-heure de surveillance ; plus loin, un nouvel assistant administratif vérifie mon identité et mon affiliation à une caisse maladie ; enfin une jeune personne me guide vers  le lieu de la piqure  où m’attend une supposée infirmière ; elle convoque une autre jeune personne qui revient avec le vaccin  comme si c’était le Saint Sacrement lors d’une procession ; piqure sans aucune douleur ; attente de récupération et d’observation en un lieu ad hoc ; enfin libéré par un autre médecin, je passe devant un troisième assistant administratif qui note l’événement dans le carnet de vaccination. Je n’aurai la seconde vaccination que dans six semaines, pénurie de vaccins oblige. A vue de nez, le personnel déployé dépassait en nombre celui des patients. On aurait pu adjoindre une fanfare militaire pour témoigner de la sollicitude de l’armée.

Je ne me moque pas. J’apprécie n’avoir jamais dû attendre. Le personnel administratif et médical n’est jamais débordé. Cela fournit des emplois à beaucoup d’étudiants désœuvrés. C’est un petit chef d’œuvre d’organisation scientifique du travail selon les principes de Frederick Winslow Taylor : décomposer le travail en une multitude de tâches à la portée de n’importe qui. Tel quel, le CHUV peut vacciner bien plus qu’il ne le fait. La Suisse aurait pu vacciner bien plus qu’elle ne le fait. Ce qui manque, c’est l’essentiel, les doses.

La comparaison internationale est cruelle. En Suisse, 4,31% de vaccinés, contre 63% en Israël, 45% aux Emirats Arabes Unis et même aux Seychelles 40%. Actuellement le rythme helvétique est de 15 000 par jour, ce qui permettra de vacciner tout le monde en trois ans. Autre singularité, Nidwald aurait vacciné 7%, Bâle-Ville 5.5% quand Vaud en vaccinait 1.7% et Berne 1.4%.

Il existe des disparités entre une organisation hospitalière au-dessus de tout éloge, le manque de vaccins et la cacophonie cantonale. La Suisse n’était pas préparée à une épidémie plusieurs fois annoncée. Un taux de 1 114 morts par million d’habitants contre une moyenne mondiale de 300, ce n’est pas glorieux pour un pays à la fois riche et hautement développé dans le secteur pharmaceutique. C’est là que le bat blesse.

Mais ce n’est pas là que les critiques surgissent. L’UDC, l’USAM, les Jeunes PLR s’en prennent au Conseil fédéral au sujet des mesures de contrainte. Ils instrumentalisent la grogne de la population pour en obtenir un avantage électoral la prochaine fois. En une circonstance grave, c’est de la démagogie. Accablé de toute part, Alain Berset n’est que le représentant du CF qui comporte deux ministres UDC.

En réalité, les institutions sont corsetées par la concordance, le fédéralisme et la démocratie directe, au point que le Conseil fédéral n’a pas le pouvoir d’agir résolument et rapidement. L’aurait-il même, qu’il n’en a pas l’habitude, ni l’ambition, ni la cohésion. Il se dépêtre difficilement d’une situation à laquelle il n’était pas préparé et qui avait pourtant clairement été prévue par les experts. Le recours au confinement fut l’arme du désespoir d’un pouvoir faible et imprévoyant. Il n’en a pas d’autre puisqu’il n’a pas obtenu suffisamment de vaccins. S’il supprime les mesures de contraintes, l’épidémie repartira et ces mêmes pétitionnaires, qui auraient obtenu ce qu’ils demandent,  en feront le reproche à Berset en visant la gauche. L’épidémie devient une opportunité de gagner les élections.

La réalité ultime ? L’UE a négocié un contingent de vaccins et l’a réparti entre les 27 pays selon un critère objectif. Nous n’en sommes pas parties. Nous l’avons choisi. Nous faisons donc moins bien que nos voisins allemands et autrichiens. L’isolement a des désavantages que n’a pas la solidarité. Si l’on veut vraiment éliminer le virus, il faut que ce soit au minimum au niveau du continent européen. Sinon nous devrons nous passer de 341 000 travailleurs frontaliers qui composent 40% du personnel de l’Hôpital de Genève.

 

 

 

 

 

 

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