La gestion de la crise multiple, sanitaire, économique, sociale, culturelle pose face à face le pouvoir politique et la communauté scientifique. On ne cesse de répéter que la décision finale appartient aux pouvoirs publics, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Les experts en matière sanitaire ne se gênent pas pour diffuser leur avis qui est parfois péremptoire : il est temps de reconfiner. Injonction à laquelle le pouvoir politique se garde bien d’obtempérer, car il doit gérer cette crise globalement. Le reconfinement aggrave toutes les autres facettes de la crise, même s’il atténue la crise sanitaire.
Dès lors un gouvernement est placé devant un dilemme. Ou bien il néglige l’avis scientifique, ils se fait aussitôt traiter d’obscurantisme par les partis en veine de publicité ; si une vague en résulte, il en sera tenu pour responsable comme s’il l’avait déclenchée volontairement et il devra tout de même décréter le confinement, contraint et forcé non par les forces politiques mais par la logique d’un virus démuni de sentiment, de réflexion, aveuglément attaché à sa propre survie. Ou bien il obtempère et décrète le confinement ; instantanément il se fait traiter de faible devant la science ; comme par le fait de sa décision, la vague menaçante ne se produit pas, on va jusqu’à lui reprocher d’avoir cédé devant une menace qui n’aurait pas existé.
Telle est la donnée du choix politique. Quoiqu’il fasse, il est perdant. Il y a donc lieu de témoigner de l’indulgence devant ses décisions. Car, contrairement à la science, la politique ne dispose pas de la capacité de prédire l’avenir. Par nature, elle est confrontée à une multitude facteurs entre lesquels elle doit choisir avec la seule intuition pour ressource. Forcément, elle se trompe parfois. La science, correctement utilisée ne se trompe pas. Dès lors l’opinion publique en vient à reprocher à la politique de n’être pas dotée de la même qualité que la science.
Cela vaut donc la peine de bien discerner ce qui permet à la science d’être affirmative sans risque de se tromper. Notons tout de suite que ce n’est pas vrai dans tous les domaines. Tout dépend de la solution d’une équation.
Exemple classique. La loi de l’attraction universelle permet d’écrire l’équation qui décrit la trajectoire de la Lune autour de la Terre et sa solution est merveilleuse : il s’agit d’une ellipse, courbe simple à calculer. On peut dès lors prévoir à un an de distance quelle sera la position de la Lune dans le ciel, sans aucun risque de tromper, comme si la Lune, impressionnée par la mathématique humaine avait décidé d’y obéir. En revanche, la météorologie obéit aussi à des équations bien connues mais dont les solutions sont instables dans le temps et permettent au mieux de prédire le temps qu’il fera dans une semaine. Cela ne veut pas du tout dire que les météorologues seraient plus stupides ou plus paresseux que les astronomes mais qu’ils ont choisi un métier aléatoire qui ne permet pas de prédire le futur lointain.
Ce qui est vrai pour la météo l’est aussi pour deux sciences humaines proches de la politique. L’économiste est incapable de prédire quand et comment une crise boursière se déclenchera. Le sociologue est de même ignorant de la possibilité d’une révolution jusqu’à ce qu’elle se produise et qu’il puisse expliquer a posteriori qu’elle était inévitable. CE qui est vrai des sciences humaines, l’est encore beaucoup plus de la politique parce qu’elle doit prendre en compte tellement de facteurs qui interagissent qu’il est exclu de les amalgamer dans une équation.
Les gouvernants gouvernent donc à vue, avec plus ou moins de bonheur. Certains sont meilleurs que d’autres parce qu’ils sont mieux formés, mieux instruits, plus expérimentés, plus ouverts aux rares informations scientifiques qui les concernent. S’ils se targuent d’être ignorants comme Trump, Johnson ou Bolsonaro, s’ils méprisent le peu de réalité dont ils pourraient être assurés, ils déclenchent des catastrophes dont sont exempts des pays gouvernés par des personnes plus éclairées, mieux équilibrées, moins égocentriques comme Merkel ou Macron.
Pratiquement en Suisse, il faut donc témoigner d’une grande indulgence à l’égard des gouvernements fédéral ou cantonaux. Ils ne sont pas exempts de la problématique décrite plus haut. Ils n’ont pas d’équation à disposition. De plus le pouvoir est bien réparti au point de se dissoudre comme un sucre dans une tasse de café puisqu’en dernière analyse c’est le peuple qui est le souverain. Et celui-ci n’a pas non plus d’équation à sa disposition pour se prononcer lors d’un vote. La politique helvétique, c’est le droit à l’erreur pour le plus grand nombre.