Une chronique politique sans parti pris

Ce qui ne me tue pas me renforce

 

La crise sanitaire, engendrant une crise économique et sociale, pèse cruellement sur chaque individu, au point de ne plus espérer de salut que dans un vaccin. Elle est considérée comme une pure engeance dont il faut se débarrasser au plus vite car elle n’a que des effets désagréables, voire mortifères. Revenons vite au jour d’avant !

Quelle erreur. C’est vrai pour tant d’individus qui ont perdu la vie, la santé, leur entreprise, leur emploi.  On ne peut que compatir et tenter de compenser leurs pertes. Mais ils sont sacrifiés pour une cause qui les dépasse, qui concerne la société planétaire. Car, tout ce qui est pénible est aussi instructif. Dans leurs efforts pour lutter contre une grave menace, l’ingéniosité des humains n’a pas de limite. Le pire nous enseigne qu’il est surmontable, amendable, corrigible. Comme on ne peut le supprimer, il faut bien le supporter. Mais le moins mal possible. Tel fut et est encore  le moteur de l’inventivité des humains, en technique ou en art de vivre ensemble.

Tout a commencé voici plus de 150 ans. Après que Henri Dunant eut assisté à la bataille de Solférino, qui laissa 40 000 blessés abandonnés, il conçut l’idée de la Croix-Rouge qui conduisit à la Convention de Genève, prototype du droit humanitaire. Ensuite, les massacres des deux guerres mondiales ont suscité la création de la SDN puis de l’ONU. Même si ces institutions n’ont pas empêché toute guerre, elles ont prévenu le pire. La Shoah a enseigné que les propos antisémites sont dangereux et doivent être considérés comme des délits. De même, la création de l’UE a arrêté la chaine perpétuelle des conflits entre la France et l’Allemagne, devenus impossibles.

Considérée sous l’angle positif, la Seconde Guerre mondiale fut à l’origine de trois techniques majeures : l’informatique, le nucléaire et le spatial. Celles-ci ne sont pas sans inconvénients, mais elles apportent aussi une foule de bénéfices. Elles étaient dans le pipeline de la recherche, mais elles n’auraient pas progressé aussi vite sans nécessité urgente. On peut y ajouter les antibiotiques, les textiles artificiels, le caoutchouc synthétique, la chirurgie cardiovasculaire. Et même la victoire de la démocratie sur les dictatures dont le nombre s’est réduit depuis. De la même façon, la pandémie de 2020 a obligé à accélérer trois innovations : le télétravail, la flexibilité budgétaire et la convivialité restreinte.

On aurait pu depuis un quart de siècle cesser de rassembler des cohortes d’employés dans le même bâtiment pour les colloquer ensuite chacun devant un écran d’ordinateur. Le même travail peut être effectué à domicile en épargnant le coût, le temps, la pollution et la fatigue de transports congestionnés, vers le centre de métropoles invivables. En plus, on pourrait économiser la construction d’immeubles de bureaux, la désertification des centres urbains, la multiplication des mangeoires bon marché pour déjeuner loin de chez soi.

La coutume et même la crédibilité internationale voulaient qu’un Etat ne s’endette pas au-delà du montant de son revenu annuel. Par rapport à cette norme, il y avait de pays vertueux comme l’Allemagne ou la Suisse et d’autres volages comme la Grèce ou l’Argentine. Le mobile affiché était toujours le même : ne pas laisser de dettes à nos enfants. Or, l’épidémie a rapidement fait apparaître des besoins imprévus : investir dans la santé mais aussi éviter la faillite de toutes les entreprises empêchées de travailler et surtout continuer à verser l’équivalent d’un salaire aux chômeurs obligés. Instantanément les milliards furent disponibles. La survie de l’économie et la pérennité des institutions étaient engagées.

Plus étonnant fut le confinement dans toutes ses virtualités. Il fallut renoncer aux manifestations culturelles et sportives, aux offices religieux, restreindre les funérailles et les mariages à des assemblées minuscules. La coutume des poignées de main et des bisous fut suspendue et le demeurera peut-être désormais. On peut comme au Japon apprendre à s’incliner ou comme en Iran à poser la main sur le cœur. Cette distanciation sociale, plus le port du masque, a eu pour résultat prévisible et imprévu de diminuer l’impact de la grippe saisonnière. La friction hydroalcoolique de Didier Pittet lui vaudra peut-être un prix Nobel. Bref nous avons appris à ne plus transmettre nos bactéries et nos virus par négligence.

Sous ces innovations se cache une révolution mentale : les coutumes ne sont pas sacrées, la rupture avec le connu est payante. Il y a moyen de développer et de valider un vaccin en un an plutôt qu’en trois ou quatre. Ce pourrait être le plus grand bénéfice de l’épidémie : nous apprendre que la société de croissance et de consommation effrénée se heurte aux limites de la Nature et que les retours de bâton de celle-ci sont terribles. Ce fut une répétition générale de ce que nous devrons accepter pour enrayer la transition climatique, avant qu’elle engendre des désordres économiques, sociaux et politiques pires que ceux des dernières guerres. Dans la stricte mesure où l’on accepte de s’embarquer dans l’inconnu, une épidémie devient aussi une école de sagesse, de prévoyance et de renaissance.

Elle sacrifie les individus pour l’émergence de l’espèce. C’est par une succession d’épreuves que les humains ont été engendrés. Avant même que notre espèce apparaisse, des Australopithèques sont descendus de la sécurité des arbres, ont taillé des outils et des armes pour se nourrir et se défendre des prédateurs. Lorsque la chasse et la cueillette n’ont plus contenté, nos ancêtres ont inventé l’agriculture et l’élevage, puis les royaumes et le droit, l’écriture et l’architecture, les arts et les sciences. Les cultes animistes et tribaux ont fusionné dans les grandes religions. Nous œuvrons depuis plus d’un siècle à l’invention d’un droit international, supérieur aux juridictions locales, pour vivre enfin tous en paix.

Chaque épreuve force à avancer ou à disparaitre. Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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