Une chronique politique sans parti pris

Un débat important faussé par des arguments maladroits

 

On peut regretter que l’initiative « Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre » ait été lancée par le GSSA, car elle devient suspecte de ce seul fait. Ce mouvement défend une position politiquement perdue d’avance, une Suisse sans armée. Avec cette initiative, elle pratique une tactique de saucissonnage. Or l’armée est en Suisse une institution symbolique, dont la charge émotionnelle est très forte. La Suisse n’a pas conquis son indépendance par un acte gracieux de ses souverains médiévaux, mais par la première révolte populaire contre le féodalisme. Elle n’a pas garanti sa neutralité durant deux guerres mondiales sans se donner les moyens de résister à une invasion.

D’ailleurs nous continuons à vivre dans un monde violent et dangereux. La France voisine subit la menace continuelle du terrorisme qui frappe au hasard, Un policier visé par un djihadiste est en état de légitime défense et n’a d’autre recours que de l’abattre avec une arme efficace. De même cinq mille militaires français sont engagés au Mali pour éviter que s’installe un nouveau califat islamique, qui projetterait sur les routes de l’exil un afflux de réfugiés vers l’Europe. Il va de soi que cette armée doit être munie des meilleurs équipements, qu’il faut bien produire et financer. Et cette cause est commune à tous les pays de l’Europe, y compris de la Suisse.

Le territoire suisse n’est pas menacé pour l’instant, mais les circonstances peuvent changer. La menace a peu de chances de se matérialiser sous la forme d’un combat de chars, façon seconde guerre mondiale. Mais plutôt de sabotage d’installations essentielles ou d’attaque des systèmes informatiques. Une armée suisse demeure donc indispensable pourvu qu’elle s’adapte à ces formes contemporaines d’agression et qu’elle se recrute parmi des citoyens convaincus, en laissant ouverte la possibilité d’un engagement civil pour ceux qui ne le sont pas.

L’initiative part d’un bon sentiment mais elle est maladroite dans sa formulation. Elle ne va évidemment rien freiner dans les conflits existants. Elle s’inscrit dans une optique idéaliste : l’argent public de la Banque nationale ou des caisses de pension ne devrait pas être investi dans des entreprises fabriquant du matériel de guerre, pour des raisons morales.  Du matériel de guerre est fait pour tuer et il est acheté par des puissances qui l’utilisent vraiment. On finance la violence.

Cela pourrait plutôt se défendre sur le plan financier : il faut manifestement investir d’urgence dans d’autres secteurs, comme la santé, la transition climatique, le secours aux activités de la culture et du sport. La priorité en temps de crise n’est pas de fabriquer des chars, des véhicules blindés et des canons.

Cependant, les opposants à l’initiative, le Conseil fédéral et le Parlement, utilisent dans la brochure ad hoc un argument encore plus maladroit que celui des initiants : « Si l’initiative est acceptée, les possibilités d’investissement des caisses de pension et de l’AVS/AI seront fortement réduites. Certains placements avantageux seront interdits… » On croit rêver. Est-on en train de prétendre que le capital de nos pensions est surtout investi dans l’industrie de guerre ? Est-ce vrai que ce sont des investissements plus « avantageux » qu’une foule d’autres ? Cela fait-il partie d’une politique délibérée des caisses de pensions, de ne s’intéresser qu’au rendement immédiat ?

Une politique de sécurité mérite un débat d’une autre tenue entre personnes compétentes et ouvertes à toutes les solutions. Il est dommage que l’initiative, juste dans sa motivation, ait surchargé le bateau qui va couler alors qu’il aurait mérité d’arriver à bon port. Quoi que l’on pense, il est donc possible de voter oui ou non, car cela ne changera rien. On peut donc se faire plaisir en choisissant l’idéalisme. C’est gratuit.

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