Une chronique politique sans parti pris

On va secouer le cocotier

 

Utilisée dans le monde de l’entreprise, cette expression daterait du XIXe siècle et tirerait son origine d’une pratique de l’époque observée dans certaines ethnies polynésiennes. Ces dernières faisaient monter les personnes âgées de la tribu au sommet d’un cocotier qui était secoué pour éliminer les plus faibles.

Inspiré par cet exemple océanien, le canton de Genève a édicté certaines mesures pour effectuer, si nécessaire, un triage au moment où les hôpitaux seraient débordés par l’afflux de patients atteints du Covid. Le texte qui suit a été publié sur le site du journal 24 Heures mais pas encore dans la version papier. On comprendra tout de suite pourquoi.

« S’il reste peu de lits de soins intensifs disponibles, on exclura notamment les cancéreux dont l’espérance de vie n’excède pas un an ou les personnes souffrant d’une neuropathie dégénérative à un stade terminal (comme Alzheimer). On refuserait aussi des patients chroniques, qui atteints d’une insuffisance cardiaque très prononcée, qui d’une cirrhose du foie de niveau 8 (sur une échelle de 15) ou ceux qui présentent une démence sévère. L’étau se resserre au stade suivant, où les soins intensifs sont pleins à craquer. Seules de brèves réanimations cardio-pulmonaires restent pratiquées en des cas précis. Le même genre de maladies, mais à des stades plus précoces, deviennent des critères d’exclusion. Les lits qui se libéreraient seraient fermés aux personnes de plus de 85 ans ou à celles de plus de 75 ans sujettes à une cirrhose ou des insuffisances rénale ou cardiaque d’un certain niveau, ou encore à celles dont l’espérance de vie est de moins de deux ans ».

Comme l’auteur de ce blog a 89 ans, il apprend donc que s’il est atteint par l’épidémie, il mourra de suffocation à domicile. Il est naturellement inquiet et fâché. Il estime que s’il paie une assurance maladie de l’ordre de mille francs par mois, il acquiert le droit de recevoir les soins qui lui assurent de survivre dans la mesure où ils le peuvent. On doit comprendre et excuser son attitude. Plus se réduit l’espérance de vie, plus elle semble précieuse. C’est une faiblesse propre à l’espèce humaine. La peur naturelle de mourir est encore aggravée par la menace d’une éventuelle immortalité pour l’éternité. Or celle-ci, selon Woody Allen, dure longtemps, surtout vers la fin.

A rebours de cette attitude sénile et égoïste, le réalisme dont font preuve les décideurs sanitaires et politiques impressionne. A un certain moment de l’épidémie, il n’est plus matériellement possible de soigner tout le monde. Dès lors la rationalité impose de choisir ceux qui ont le plus de chances de s’en tirer. Si ce triage n’est pas effectué, il y aura en fait plus de morts que s’il est exercé.

Bien entendu si les moyens étaient plus conséquents, le triage pourrait être évité. Mais il y a aussi une limite à ce que les hôpitaux et les facultés de médecine peuvent dépenser. C’est ainsi que ces dernières opèrent un numerus clausus en première année de médecine ou une sélection drastique au terme de celle-ci pour contrôler le nombre de médecins qui seront diplômés. Le principe est que les soins médicaux ne sont pas gouvernés par la demande mais par l’offre. Moins de médecins signifie moins de soins et donc moins de coût. C’est au fond déjà la politique du cocotier.

Malheureusement l’ouverture des frontières et l’équivalence des diplômes font que les médecins suisses qui manquent sont remplacés par une immigration de praticiens, telle que le quart des médecins en exercice ont été formés en dehors du pays, et donc sans affecter son budget de formation. Autre application subtile du cocotier. Les médecins suisses prenant leur retraite sont remplacés par de jeunes Français ou Allemands dont la formation n’a strictement rien coûté.

Devant la menace du triage, certaines voix se sont élevées pour affirmer qu’il ne serait pas nécessaire parce que les cliniques privées disposaient d’un important potentiel de lits dédiés aux soins intensifs. Il saute aux yeux que cette offre ruinerait la politique du cocotier. En effet, les hôpitaux cantonaux en seraient dépréciés. Et, en réfléchissant davantage, cela entrainerait la survie de nombreuses personnes âgées dont la charge sur l’assurance maladie n’est plus à démontrer.

La politique du cocotier a de nombreux objectifs dont le mieux caché est la réduction du coût de la santé. Un leader de la politique fédérale a une fois émis l’observation pertinente que la moitié des coûts de la santé sont dépensés durant les six derniers mois de l’existence. Si ceux-ci étaient biffés, le coût de l’assurance maladie, divisé par deux, redeviendrait supportable. Et c’est la politique du cocotier qui pourrait réaliser ce tour de force.

En résumé, le cocotier est inadmissible pour certains individus mais il ne présente que des avantages pour le bien commun. Selon un principe fondamental de l’éthique la plus exigeante, il n’y a pas à hésiter.

 

 

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