Une chronique politique sans parti pris

L’abandon du C

 

Le président du PDC vient d’annoncer que son parti change de nom et s’appellera désormais Le Centre. Cette lourde décision comporte deux volets : un parti change de marque ; la référence à chrétien n’est plus un argument électoral mais un repoussoir.

Changer de marque est toujours risqué. Aux Etats-Unis, personne de commande un Coca-Cola mais un « Coke ». Cela n’a pas incité la firme à abandonner sa marque historique. En abandonnant le C pour « chrétien » (mais en réalité pour catholique) ce parti admet qu’il subit une érosion depuis quarante ans et que son score n’est aujourd’hui plus que la moitié de ce qu’il était. Aux élections fédérales du 20 octobre 2019, le PDC Vaud a même perdu d’un seul coup la moitié de ses suffrages en 2015 et, par ailleurs, a disparu du Grand Conseil en y abandonnant quatre sièges. Bref sous ce drapeau, c’est la déroute. Après enquête de marché, il ressort que Le Centre a vocation de doubler les suffrages du PDC. Il y a parfois des marques qui deviennent encombrantes. La manœuvre consiste à changer de drapeau tout en proclamant que l’on continuera à défendre les mêmes « valeurs ». La question est de savoir de quelles valeurs il s’agit : celles du catholicisme ou celles du centre politique ?

Les valeurs du catholicisme sont aujourd’hui bousculées dans l’opinion publique, au point que le parti en a probablement souffert. Sur quarante ans, le parti a perdu la moitié de ses électeurs, mais l’assistance à la messe dominicale a baissé bien davantage. Il reste 13% des catholiques en Suisse qui participent à un service religieux au moins une fois par semaine. Le nombre de sorties de l’Eglise catholique au niveau suisse, qui s’élevait à 20’014 en 2017, a augmenté de 25% en 2018, pour atteindre 25’366. Cette hausse répond aux révélations sur les abus sexuels et spirituels commis au sein de cette Eglise à travers le monde et à l’inertie des autorités ecclésiastiques à leur endroit. Depuis 2013, le mariage religieux catholique a régressé d’environ 20% en 2018. Le nombre des baptêmes catholiques entre 2013 et 2018 a baissé de 11%. En 2018, 18’568 baptêmes catholiques ont été dispensés soit 21% du nombre des naissances recensées en Suisse. Cette proportion d’enfants baptisés dans l’Eglise catholique est sensiblement plus faible que le pourcentage des catholiques au sein de la population suisse (36,5%). Le parti se disloque en même temps que l’Eglise à laquelle il fut identifié.

La vocation historique du PDC fut de défendre les vaincus de la guerre du Sonderbund. Ce n’est plus un projet parce que leurs descendants se distinguent de moins en moins du reste de la population. Le vote confessionnel est oblitéré. Reste à voir ce que le C signifie pour les valeurs du Centre, si celles-ci existent. Et si elles coïncident avec celles de jadis, celles d’un parti catholique bien emprunté aujourd’huipour se conformer à celles de l’Eglise : pas de contraception, pas d’avortement, pas d’homosexualité, pas de femme au pouvoir, pas d’autonomie par rapport à Rome.

En France, le président Macron a réussi un beau coup en créant à partir de presque rien un parti du centre, qui s’est proclamé antisystème pour répondre à la lassitude des Français soumis à l’alternance entre droite et gauche. Mais il a le plus grand mal à appliquer son programme de ni gauche, ni droite. Telle n’est pas du tout la situation en Suisse parce que le principe de concordance exige que tous les partis gouvernent simultanément. Non seulement le Centre ne peut donc pas se créer par opposition à une alternance inexistante mais il doit participer à une concordance perpétuelle. Il ne parvient pas à être une opposition à quoi que ce soit, mais au contraire il constitue le lien même du système. Il vote selon le cas avec la gauche ou la droite, en déterminant ainsi la résultante de la politique suisse. C’est tout à fait méritant, mais forcément il n’a pas de profil bien affirmé. C’est un parti voué au consensus. D’où l’image injustifiée mais persistante du PDC mou, instable, dénué de programme.  Ce n’est pas avec cela que l’on soulève l’enthousiasme des foules, sauf si l’on dispose d’un leader charismatique comme de Gaulle ou Macron.

Or les électeurs suisses détestent l’idée même d’un homme providentiel, sauf en temps de guerre où un général recueille une adhésion unanime fondée sur une sainte frousse. On ne voit pas Gerhard Pfister se comparer à Jupiter sans déclencher l’indignation générale, voire une hilarité irrépressible. Le Centre est à la fois une idée abstraite pour les électeurs et une réalité concrète au Palais fédéral, sans laquelle il serait impossible de gouverner.

Mais c’est trop demander aux électeurs que de comprendre ce qui se passe dans les travées des deux Chambres. Ce n’est pas leur affaire. Pour que Le Centre existe, il faudrait qu’en toute circonstances, il adopte une attitude éclairée, qui soit « en même temps » libérale et sociale, productiviste et écologiste, nationaliste et ouverte. Et qu’il parvienne à l’expliquer aux électeurs. Et qu’il arrive à se frayer un chemin aux dépens du PS, des Verts, du PLR et de l’UDC. Ces partis de couleur affirmée jouissent du bénéfice de programmes simplificateurs, à hauteur d’électeur, qui a autre chose à faire que de lire la volumineuse brochure trimestrielle sur les votations à venir.

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