Une chronique politique sans parti pris

Rien n’est simple, mais tout est simplifié

Les épreuves les plus pénibles peuvent apprendre quelque chose de très précieux que l’on n’eût pas découvert sans elles. Le confinement a enseigné qu’il y a moyen de se satisfaire de peu : acheter au jour le jour sa pitance suffit ; il n’est pas indispensable de suivre la mode en achetant des vêtements dont on n’a pas besoin ; idem pour l’informatique dernier cri, le renouvellement de la voiture qui roule encore très bien, les voyages en avion au long cours, la circulation automobile sans nécessité, la fréquentation des bars et discothèques. En gelant l’activité économique pendant quelques semaines, il est apparu que certains pans de celle-ci n’avaient qu’un médiocre intérêt et une faible légitimité.

Et donc le PIB a diminué, ce qui semble à première vue très inquiétant, comme si c’était la seule mesure de notre bien-être. Puisque nous produisons et consommons moins, cet indicateur de l’activité économique a fléchi, parfois de façon dramatique jusqu’à un quart de sa valeur initiale dans certains pays, où il n’était déjà pas fameux. Mais ce ne fut plus la préoccupation dominante : le taux de contamination, l’ampleur des hospitalisations, le nombres de morts devenaient les indicateurs vitaux. Car que sert-il à l’homme de gagner sa vie s’il la perd ?

Les gouvernements ont donc considéré simultanément deux indicateurs : le PIB et le taux de mortalité. Que fallait-il sacrifier de l’un pour ne pas trop nuire à l’autre, sans que cela se sache trop ? Ce faisant, ils ont découvert cette vérité élémentaire que la société n’est pas à une seule dimension et que le bonheur des hommes dépend de nombre d’indicateurs, habituellement ignorés. En d’autres mots, la satisfaction d’un pays ne se mesure pas avec le thermomètre unique du PIB, qui n’enregistre que la seule activité du marché. C’est facile à calculer mais cela ne résume pas tout. Car certaines dépenses sont nocives pour la santé : la drogue, le tabac, l’excès d’alcool, de sucre, de sel. En réparant les dégâts, le secteur médical fait également croître le PIB. Il mesure l’agitation économique, pas nécessairement l’activité utile.

La qualité de vie d’un pays devrait dépendre d’un véritable tableau de nord sur lequel il faudrait consulter de nombreux cadrans. Ainsi en est-il d’une voiture. Il y a à la fois un indicateur de vitesse et une jauge d’essence, qu’il faut vérifier séparément. Si l’on ne disposait que d’un indicateur unique combinant les deux chiffres, on pourrait tomber en panne d’essence à force de rouler de plus en plus vite.

C’est une leçon durement apprise, une humiliation des superbes, la promotion des plus humbles. Le PIB par habitant est de 62 606 $ aux  Etats-Unis et de 7510 $  au Vietnam ; le taux de morts pour 100 000 habitants est respectivement de 54.5  et 3 ; la plus grande puissance économique au monde produit 8 fois plus qu’une des plus modestes mais souffre de 18 fois plus de morts face à une épidémie. Un habitant de la Suisse, disposant de 32 570 $ de pouvoir d’achat, a une espérance de vie à la naissance de 83.4  années tandis qu’un Etats-Unien avec 40 100$ ne dispose que de 78,1 années, soit cinq ans en moins.

L’OCDE a créé une instance sous le patronage de Joseph Stiglitz, pris Nobel d’économie, pour définir une série d’indicateurs, de cinq à dix, qui mesureraient toutes les dimensions du bien-être :  le revenu, le travail, la santé, la formation, la culture, l’égalité, le logement, les transports, la sécurité et, surtout, la satisfaction de la population. Un tel tableau de bord, s’il était toujours publié dans sa totalité éviterait les réflexes conditionnés sur le PIB et inciterait les gouvernants à s’occuper de toute la société et non d’un aspect de celle-ci.

Application : nous voterons le 27 septembre sur plusieurs objets très importants, qui sont abordés dans le débat selon une seule dimension. Par exemple le budget pour les avions de combat. On peut à l’infini disserter sur la nécessité d’en disposer, sans se poser quelques questions jamais énoncées, sans entrer dans certaines dimensions esquivées. Est-ce que l’armée suisse considérées dans toutes ses dimensions n’est pas d’abord, principalement, substantiellement un objet symbolique qui manifeste actuellement cette neutralité et cette indépendance d’un pays qui furent jadis durement acquises ? Le danger d’une invasion du territoire, qui fut manifeste en 1870, 1914 et 1939, est-il aujourd’hui plus ou moins probable qu’une attaque du système informatique, un acte terroriste, une submersion des frontières par une invasion de migrants, une guerre bactériologique ?

Personne n’est capable de répondre à ces questions, tout comme personne ne pouvait prévoir le premier janvier 2020 l’épidémie qui menaçait et pour laquelle nous n’étions absolument pas préparés. Que nous réserve la transition climatique comme défis réels ? Même incertitude. Nous vivons dans un monde dangereux mais quel est le danger qui se manifestera le premier ? Impossible de répondre. Or, la question posée par le Conseil fédéral est réduite à une seule dimension : pensez-vous que le territoire sera envahi par une armée ennemie dotée de chars, d’artillerie, de missiles et de bombardiers contre laquelle il faut une aviation militaire suisse capable de soutenir les troupes au sol ? Il n’existe pas de citoyen pour répondre objectivement à une telle question, parce qu’on ne lui montre qu’un seul indicateur alors qu’il en faudrait plusieurs.

 

 

 

 

 

 

 

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