Une chronique politique sans parti pris

Il y a deux logiques

 

 

Entre l’auteur du présent blog et certains de ses commentateurs, il s’établit parfois un abîme d’incompréhension. L’un dit blanc, l’autre noir. Avec la même conviction, voire une certaine exaltation. Il serait tout à fait indécent de qualifier ces opinions contraires de mauvaise foi, de sottise ou d’ignorance. Chacun raisonne selon sa logique et il se trouve que celle de tout le monde n’est pas toujours celle des logiciens de métier. On continuera à publier tous les commentaires qui respectent la courtoisie et qui traitent du sujet en cours. Néanmoins, il est intéressant de comprendre cette différence pour que chacun se sente à l’aise.

 

Le plus brillant utilisateur d’une logique, incompréhensible pour l’esprit borné d’un ingénieur comme l’auteur, est Donald Trump dans son célèbre syllogisme : puisque que le Covid est une infection virale et que l’eau de Javel désinfecte, buvons de l’eau de Javel. Donald Trump a été élu par une majorité qui suit sa logique, prédominante en milieu rural. C’est sa logique, inutile de la contester, il est cohérent avec lui-même. Elle permet de devenir président des Etats-Unis, ce qui n’est tout de même pas rien.  Mais en quoi est-elle différente de la logique des scientifiques ?

 

Que dit cette logique-ci ? Si une proposition A entraîne une proposition B, la vérité de A implique la vérité de B. Bien entendu cette règle de logique scientifique ne doit pas être inversée. Si B est vrai, cela ne signifie pas du tout que A soit vrai. Il faut commencer par démontrer la réciproque dans la mesure où cela est possible : si B est vrai, alors A est vrai.

 

Exemples. Si la Terre est une sphère, sa surface n’a pas de bord et il est possible d’en faire le tour. Il a fallu attendre le XVIe siècle pour que cela soit vérifié et admis.

Si deux corps célestes s’attirent à proportion du produit de leurs masses et à l’inverse du carré de leurs distances, la Terre décrit une orbite elliptique autour du Soleil et pas le contraire. Rappelons qu’il a fallu attendre le XVIIe siècle pour que cela soit compris et que Galilée a risqué le bûcher en promouvant cette logique. Darwin, Freud et Einstein ont couru des risques moins physiques.

Avant, on utilisait une autre logique dont nous n’avons plus la moindre idée. Thomas d’Aquin, plus brillant esprit du XIVe siècle, estimait que les planètes tournaient (autour de la Terre !) parce que chacune était poussée par un ange. On enseigne toujours le thomisme dans les universités.

La logique de Trump, qui fait école dans maints commentaires de ce blog, repose sur une toute autre relation : si A entraîne B, et que B ne me plait pas, cela signifie que A est faux. On pourrait appeler cela une implication affective rétrograde pour lui donner un vernis scientifique. Ce type de raisonnement est ingénument utilisé dans plusieurs circonstances présentes. Exemples :

« Je n’aime pas le port du masque ou le confinement. »  Dès lors, à choix je puis penser : il n’y a pas d’épidémie de Covid ; ceux qui meurent décèdent d’autre chose ; la chloroquine suffit à la maîtriser ; c’est une conspiration des Chinois ; il suffit d’attendre que cela passe. Remarquons que la Suède, exemple habituel de gestion gouvernementale rationnelle, s’est rangée à cette dernière implication qui lui a coûté 4 200 morts soit un taux de 400 par million d’habitants, dix fois celui de la Norvège. Une erreur de logique se paie lourdement. Ce n’est pas un exercice abstrait. C’est de la politique. Et cela peut causer des morts. Et cela en a causé beaucoup à cause des sentiments particuliers de Trump, Bolsonaro, Johnson, Loukachenko.

Second cas de figure, « je n’aime pas l’idée que la main invisible du marché soit incapable de régler l’économie de manière optimale et que l’Etat doive s’en mêler. » Dès lors, je nie la relation entre la production de CO2 et le réchauffement climatique en adhérant à une des propositions suivantes : il n’y a pas de réchauffement climatique ; il n’est pas d’origine humaine ; il est impossible de le réduire ; c’est une invention des médias.

Troisième cas de figure. Je n’aime pas la théorie de l’évolution parce que je crois qu’elle prouve que Dieu n’existe pas. Or je crois en Dieu, donc je refuse la théorie de l’évolution. Pur malentendu : aucune théorie scientifique ne peut affirmer ou infirmer l’existence de Dieu.

Avant dernier cas, typiquement suisse : « je n’aime pas les étrangers. » Or l’économie ou simplement la sauvegarde des pensions exige un minimum de 40 000 migrants par an pour compenser la dénatalité. Dès lors le premier des partis suisses multiplie les initiatives pour freiner ou interdire la migration. Cela lui assure un électorat fidèle, acquis à la logique de Trump, qui adhère à une des propositions suivantes : il n’y a pas de dénatalité en Suisse ; les étrangers volent les emplois des Suisses parce qu’ils travaillent pour un salaire plus bas ; les étrangers viennent en Suisse pour ne pas travailler et bénéficier de notre assurance chômage ; les étrangers comportent en leur sein plus de délinquants que les Suisses.

Autre exemple helvétique : le Conseil fédéral n’aime pas critiquer l’administration. Or celle-ci n’avait pas veillé en janvier à maintenir un stock de masques, en s’en déchargeant sur les cantons, qui s’étaient déchargés sur les hôpitaux, qui n’avaient rien fait. Dès lors l’OFSP défendit sans rougir la thèse selon laquelle les masques ne servent à rien et Alain Berset la couvrit de l’autorité gouvernementale, en prenant à son compte cette logique trumpienne. Depuis les masques sont disponibles et ils sont devenus obligatoire en fonction de la logique scientifique. Il n’est donc pas impossible de changer de logique à deux mois de distance.

La logique selon Trump mène au déni de réalité. Lorsque les faits contredisent une des conclusions de cette exercice de logique affective, on les attribue à un complot, tellement bien caché qu’il est impossible de le découvrir.

La logique des logiciens est à l’œuvre dans la plupart des sciences. Elle permet soit d’expliquer a posteriori ce qui s’est passé, soit de prévoir ce qui va arriver. Elle est en prise directe avec la réalité. Dès lors : si je n’aime pas la réalité, je dois soutenir que la Science est fausse et se résume à un complot des universitaires qui sont des parasites de la société, grassement payés à ne rien faire.

Cette analyse explique pourquoi ce sont toujours les mêmes : ils nient la transition climatique ; ils récusent la pandémie de Covid 19 ; ils voudraient fermer les frontières ; ils refusent la théorie de l’évolution ; ils sont opposés au mariage pour tous ; ils ne veulent pas du congé parental. Ils s’efforcent de donner de multiples raisons à leurs diverses positions. Alors qu’elles procèdent toutes d’une seule et même logique, imparable : ce que je n’aime pas, n’existe pas. Comme cela n’existe pas pour moi, il faut que cela cesse d’exister pour les autres. Ce trouble est bien connu des spécialistes.

Nous venons de découvrir qu’il est transmissible sur une large échelle. L’homme le plus puissant du monde y adhère. Il a déjà dit qu’il n’aime pas l’idée de n’être pas réélu en novembre et que donc, logiquement, il refusera de reconnaître l’élection de Biden. Au dernier moment de son pouvoir, il a la possibilité de lancer le feu nucléaire qui éradiquera une fois pour toute l’espèce humaine. Ce faisant, celle-ci se sera conformée à sa logique originelle. Et les tenants de la logique scientifique auront fourni les moyens de la destruction, les missiles et les armes nucléaires. Les deux logiques ont donc parfois partie liée. Elles sont alors irrésistibles.

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