Une chronique politique sans parti pris

Quel C ?

 

 

La question est posée par le président du PDC, Gerhard Pfister : faut-il conserver le C de chrétien dans l’acronyme de son parti ? Il ne semblerait conservable que dans la mesure où on lui attribuerait une autre signification. Car C en politique suisse a quatre significations : catholique, chrétien, conservateur, centriste.

 

Au début du parti ce fut le double C : parti catholique conservateur pour mieux affirmer la défense des cantons catholiques humiliés par la défaite du Sonderbund. Depuis tellement d’eau a passé sous les ponts que les catholiques et les protestants collaborent jusque dans la pastorale. Pasteur et prêtre concélèbrent parfois. Face à la montée de l’incroyance, les distinctions trop subtiles s’effacent Cependant, au moment de voter, l’atavisme reprend le dessus. : un réformé ne se sentira pas porté à voter PDC car il conçoit que le C veut dire catholique. Au fur et à mesure que l’Eglise catholique perd de son emprise et de sa réputation, elle entraine le PDC dans son effondrement.

 

Notons en passant que la même lettre C sert d’initiale à la fois au capitalisme et au communisme. Elle sert donc à tout. Surtout à dissimuler la réalité. Par exemple, l’UDC se proclame parti du centre ce qui relève de l’hallucination linguistique. Ce n’est pas innocent : un électeur, qui a légitimement des opinions d’extrême droite, nationaliste, xénophobe, machiste peut néanmoins continuer à s’imaginer que celles-ci sont solubles dans le consensus national.

 

Le Valais est le seul canton qui tient, dans le cas du PDC, à ce que le C signifie toujours chrétien : cependant lors de la précédente législature deux de ses conseillers nationaux ont suscité un branlebas médiatique pour cause d’adultère.  Cela pourrait sembler un tout petit peu contradictoire pour le parti de la famille, mais cela n’empêcha nullement, bien au contraire, ces deux personnalités d’être réélues à d’autres postes par les électeurs valaisans. En Valais, le C semblerait l’initiale de contradictoire, mais en fait il veut dire conservateur.

 

Pour déchiffrer cet imbroglio, il vaut la peine de revenir au point de départ. Depuis quand le christianisme est-il compromis avec la politique ? En fait depuis le début. En 315, l’empereur Constantin légalisa le christianisme dans l’empire romain, parce que le Christ lui aurait donné la victoire lors d’une bataille avec Maxence, son concurrent pour le trône. Ainsi le Christ fut censé intervenir dans une guerre civile entre deux soudards, bien qu’il ait été condamné à mort au nom du droit romain, trois siècles plus tôt. En 380, Théodose acheva cette triste besogne en désignant le christianisme comme religion d’Etat, obligatoire pour tous. Le malentendu fut ainsi durablement établi.

 

On ne refera pas l’histoire des siècles qui suivirent, mais le C servit à allumer des bûchers sur lesquels périrent hérétiques, réformés, juifs, musulmans, ce qui semblait plutôt contradictoire avec la position de son fondateur. Il y eut donc grand péril à mélanger politique et religion. Et cependant ce fut la règle : la religion d’Etat composait les gouvernants dans le transcendant, le sacré, l’inviolable, l’indiscutable, l’absolu. Et c’est encore aujourd’hui dans maints pays, le fondement du pouvoir.

 

Au moins dans la Suisse urbaine, ce principe n’est plus accepté. La politique est de l’ordre du contingent, du provisoire, de l’improvisé, du discutable. La foi elle est ancrée au cœur des croyants, elle ne dicte pas leur appartenance partisane, elle enseigne l’ouverture, la bienveillance, la bonté, la douceur, la tolérance. Elle est d’un autre ordre que l’affrontement politique ordinaire.

 

La Confédération suisse n’a pas de religion d’Etat. Cependant la réalité est plus subtile. Car les premiers mots inscrits dans la constitution fédérale sont “Au nom de Dieu Tout-Puissant!”, ce qui présume plus ou moins l’existence d’une ou de plusieurs religions. A une guerre du XIXe siècle près, la Suisse a bien vécu avec deux religions chrétiennes, catholique et réformée, qui sont aussi subventionnées paradoxalement par un cinquième de la population, de sentiment agnostique. C’est tout autre chose que la laïcité à la française, glaçante, agressive, dévalorisante : à une religion d’Etat s’y est substituée la religion de l’Etat, le plus froid de tous les monstres froids.

 

Cet exorde va beaucoup plus loin. Il signifie que tout ce qui va suivre n’est pas d’inspiration humaine. Ce n’est pas le bien commun supputé à partir des intérêts particuliers qui fonde l’Etat. La norme est transcendante. On verra tout de suite qu’elle est tellement exigeante qu’elle dépasse les forces humaines. Elle fixe un idéal inatteignable. C’est bien la définition de tout idéal.

 

Car le reste du préambule explicite un programme évangélique : « conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités dans le respect de l’autre et l’équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres. »

 

Ce programme fait écho à certaines des Béatitudes : « Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux les persécutés pour la justice, car le Royaume des Cieux est à eux. »

 

Et donc, d’une certaine façon, le C de chrétien est applicable à toute l’institution nationale parce qu’elle met pratiquement en œuvre les exigences de la foi religieuse : respect intransigeant des minorités, solidarité sociale, égalité de tous, gouvernance incluant tous les partis, renoncement à toute expansion territoriale, promotion de la paix civile.

 

La politique suisse est inspirée des valeurs chrétiennes, sans en revendiquer l’exclusivité, le privilège, l’avantage. Il y a des chrétiens en politique dans tous les partis. Un parti n’est pas plus chrétien qu’un autre. La réforme du sigle PDC a donc un sens historique, même si elle a suscité des ricanements dans les autres partis. C’est être vraiment chrétien que de ne pas prétendre l’être plus qu’un autre.

 

 

 

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