Gouverner c’est prévoir, dit-on. Ce commentaire est utilisé a posteriori quand les événements ont démontré ce qu’il aurait fallu prévoir et ce que l’on reproche à l’exécutif de n’avoir pas prévu. C’est exiger des gouvernants qu’ils sachent à coup sûr ce qui va se passer. C’est les condamner sans échappatoire car personne ne peut connaître l’avenir. On en a eu une belle démonstration durant la première moitié de cette année. Non seulement personne ne pouvait savoir qu’il y aurait une épidémie, mais de plus qui aurait pu prévoir les mesures indispensables ?
Soumis à cette exigence de résultats certains dans un contexte incertain, les exécutifs ont réagi comme n’importe qui à leur place : ils ont mentis pour se couvrir. Comme il n’y avait pas de réserves de masques, ils ont prétendu que le port de ceux-ci n’était ni nécessaire, ni même utile, voire dangereux. Citation d’Alain Berset : «Le port généralisé du masque, partout et tout le temps, ne protège pas les personnes saines et peut même avoir un effet contre-productif, en relâchant les comportements». Ce type de déclaration n’est pas propre à la Suisse mais a été entonné dans plusieurs pays européens selon un réflexe de défense élémentaire : si les citoyens attendent du gouvernement des dons de voyance extra-lucide, celui-ci n’a plus d’autre ressource que de dire n’importe quoi. Maintenant que les masques sont disponibles, on les « recommande » sans les rendre obligatoires dans les transports. Car il n’est pas possible de se déjuger à ce point.
Au-delà de l’épidémie, la politique a repris son train coutumier pour préparer la prochaine votation, à savoir six milliards pour acheter des avions militaires. Là aussi le Conseil fédéral est obligé de prévoir l’imprévisible : un conflit sur le continent européen qui exigerait que la Suisse préserve sa souveraineté en faisant étalage de sa force. Parmi nos voisins, les seuls qui aient jadis recouru au conflit ouvert furent l’Allemagne et la France. En 1870, en 1914, en 1939, la Suisse est demeurée hors du conflit, parce qu’elle s’était donné les moyens d’interdire tout mouvement tournant par son territoire. Aujourd’hui l’imprévisible est le renouvellement de cette situation. Il faudrait au préalable que l’UE disparaisse. Ce n’est pas impossible mais c’est assez peu probable.
Gouverner en cette situation signifie faire une balance des périls : quels sont les autres dangers, menaçant notre souveraineté dont nous devons nous prémunir ? L’épidémie n’est plus une menace potentielle mais une réalité fâcheuse, rien ne garantit qu’un vaccin sera trouvé, tout laisse prévoir que d’autres virus surgiront. Ce n’est pas un danger imprévisible du tout. C’est une certitude. Cela coûte cher par les faillites de petites entreprises, les pertes d’emplois, le chômage et la diminution des rentrées fiscales.
Il est un autre danger : la transition climatique. Il est à ce point évident et pressant qu’il est nié désespérément par tous ceux qui se refusent à le combattre, car ce serait une entrave à l’économie. Il en fut de même avec l’épidémie : les gouvernements européens, sans expérience d’une épidémie tardèrent à prendre la mesure dramatique du confinement tant celle-ci leur paraissait à juste titre comme destructrice de l’économie. En tardant, ils ont aggravé l’épidémie et prolongé la durée du confinement ainsi que sa conséquence logique, la crise économique.
De la transition climatique on ne peut pas parler de probabilité : c’est une certitude. Elle peut avoir des effets dramatiques même en Suisse : si elle entraine de mauvaises récoltes au niveau mondial nous serons bien empruntés pour importer selon l’usage la moitié de notre approvisionnement. La mesure ne sera pas le confinement mais le rationnement, tout aussi déplaisant. Des activités économiques traditionnelles comme les transports aériens et automobiles peuvent être réduits à néant. Pallier cette crise signifiera aussi investir beaucoup d’argent public.
On pourrait continuer et rappeler que les pensions ne sont pas garanties, que l’assurance maladie coûte de plus en plus cher. Dès lors le peuple sera amené à choisir en septembre entre les avions, l’équipement médical, la transition climatique, les pensions. Comme il est souverain, il décidera, en toute ignorance de cause, en en sachant encore moins que les pouvoirs publics. La campagne électorale, les astuces publicitaires, les fausses nouvelles, les discours emporteront la décision. Cette procédure a un avantage immense : le peuple ne pourra pas reprocher a posteriori au Conseil fédéral de n’avoir pas su gouverner. Telle est la raison de la stabilité de nos institutions : le pouvoir est tellement dilué qu’en cas de malheur il est impossible de désigner un coupable.