Une chronique politique sans parti pris

Le foot contre la santé, la Ville contre la Confédération

 

On peut comprendre que des jeunes aient envie de se déconfiner en se rassemblant pour un match de football. Néanmoins, c’est contraire à la loi fédérale qui prohibe les vastes rassemblements. On ne peut oublier que l’Alsace a été sévèrement touchée après un culte évangélique et que la Lombardie l’ait été précisément après un tel match. Statistiquement, dans ce genre de manifestation, sur mille personnes il y a forcément des porteurs de virus asymptomatiques. Dans la proximité recherchée, dans la convivialité, dans l’enthousiasme, c’est le risque très élevé d’une large contamination.

 

Or ce genre de manifestation non autorisée s’est produit au moins à deux reprises dans l’agglomération lausannoise. Une fois à Chavannes et jeudi passé aux Boveresses. La police présente n’est pas intervenue. Raison invoquée : la proportionnalité et le risque de débordements, formules quasiment liturgiques pour arrêter toute contestation. Malgré ces éléments de langage soigneusement choisis, cela reste un aveu d’impuissance. Une foule nombreuse ne peut évidemment pas être dispersée sans risque. Est-ce une raison suffisante pour ne pas le prendre, en courant de ce fait l’autre risque, bien plus grave, celui d’un retour de la pandémie, c’est-à-dire des morts ? Le municipal lausannois a émis l’opinion que c’était aux officiers sur le terrain de prendre la décision : de la sorte plus personne n’est responsable.

 

Or, telle fut la décision de la Ville. Ce réflexe de démission révèle la fragilité des institutions helvétiques. Confédération, organes intercantonaux, Cantons, organes intercommunaux, Communes constituent une superposition de cinq niveaux de décision. En temps normal, c’est une excellente application du principe de subsidiarité : faire prendre toute décision au plus près de terrain. En temps de crise, c’est une limite inhérente à la démocratie directe, qui est à la fois tellement précieuse mais aussi tellement exigeante. La Confédération peut édicter toutes les lois mais elles ne sont applicables que par les cantons et les communes qui disposent de la force publique. La ville de Lausanne n’a pas respecté cet équilibre très délicat entre un minimum de centralisme et une nécessaire efficacité en temps de crise. . La Suisse a décidé de se sauver dans son ensemble, sans devoir établir des frontières intérieures comme la France vient de le faire avec son rayon de 100 km du droit de voyager.

 

A la limite, ce mécanisme suppose de plus un civisme parfait de la population. Si celle-ci obéit spontanément à la loi, il n’est pas besoin de répression et d’exercice du pouvoir. Pendant trois mois la population a fait preuve d’une discipline remarquable, même au détriment de l’activité économique locale, de la survie des PME, de la sauvegarde de l’emploi. Il est stupide de risquer d’annihiler cet effort de tous pour le plaisir de quelques-uns.

 

En particulier, la scission de l’agglomération lausannoise en deux avec un district Lausanne Ouest ne simplifie pas les choses. La police de ce district de huit communes se monte au total à 164 agents dont tous ne sont pas opérationnels sur le terrain. Dans le cas du match à Chavannes, on ne voit pas comment cette police aurait pu contenir un millier de participants. La sagesse commandait effectivement de ne pas intervenir. Mais cette situation de crise, comme toujours, révèle une faiblesse à corriger. Les huit communes de l’Ouest sont en fait parties de la ville de Lausanne et n’en ont été séparées que pour d’obscures rasions. Ce serait l’occasion de corriger le tir. Une ville est un tout organique pour les transports, la formation, la sécurité, la distribution d’eau et d’électricité, la gestion des déchets. La couper en deux est une aberration, qui obère un peu plus la capacité d’agir.

 

Ce qui s’est passé témoigne de l’insoumission de l’échelon inférieur communal à appliquer les décisions de l’échelon le plus élevé fédéral. C’est compréhensible : un municipal doit se faire réélire par le corps électoral de la ville : quoi que décide la Confédération, l’élu est captif de son électorat. Dès lors, c’est le peuple qui décide, même s’il n’est pas en position d’évaluer le rapport coût-bénéfice. Ne pas faire respecter la loi fédérale, c’est de la démagogie locale, c’est éreinter la crédibilité de la légalité, c’est exercer une pression violente pour qu’elle soit modifiée. Le municipal en charge ne l’a pas dissimulé.

 

Si le football était à ce point populaire que la loi ne puisse s’y appliquer, il en sera de même pour les restaurants, les cinémas, les entreprises de toute sorte. Chaque secteur décidera au petit bonheur la chance. Quand l’épidémie reprendra, la faute sera attribuée à la Confédération. Que c’est dur de gouverner un pays quand on n’a pas le pouvoir ! Que c’est difficile quand le peuple a été gâté depuis si longtemps qu’il n’imagine même plus qu’un fléau puisse le menacer ! Camus avait prédit en 1942 ce qui allait arriver : « Les fléaux sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête. Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus »

 

 

 

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