Une chronique politique sans parti pris

La culture n’est pas un luxe

 

La crise sanitaire n’est que le prologue de la crise économique et sociale dont les ravages seront plus conséquents. Elle était latente car le système technique qui a engendré huit milliards d’hommes repose sur l’exploitation de ressources non renouvelables, les combustibles fossiles, la multiplicité des espèces vivants, les terres fertiles, la disponibilité d’eau. En ce sens la crise sanitaire n’a fait que dévoiler les fragilités existantes. En Europe, 40 millions de chômeurs sont subventionnés par les pouvoirs publics. Comme le revenu des impôts ne le permet pas, c’est en s’endettant que l’opération fonctionne, c’est-à-dire en refilant la dette à la génération à venir.

 

Les travailleurs le plus à risque sont les indépendants, commerçants et artisans. Mais aussi une catégorie moins souvent considérée, la plupart des travailleurs de la culture, appartenant aux mondes du théâtre, de la danse, de la musique. Ils travaillent normalement en enchaînant les contrats et en acceptant une existence souvent précaire : on estime que leur revenu moyen est de l’ordre de 5000 CHF par mois. Actuellement ils sont 4130 demandeurs d’emploi. En temps normal ils émargent au chômage entre deux contrats, pourvu qu’ils aient cumulé douze ou dix-huit mois durant les deux années antérieures Après c’est recours à l’aide sociale. Une musicienne a fait ses comptes : elle touche 7.6CHF par jour. Or, subitement les contrats vont disparaitre ou s’amenuiser pendant une année au moins. La demande est latente d’allonger le délai à quatre ans.

 

Les pouvoirs publics sont assiégés de toute part. Il faut évidemment sauver tous les coiffeurs et le plus possible de restaurants. Il semble qu’il ne soit même pas question d’abandonner les prostituées, dites dans le langage châtié des anarchistes travailleuses du sexe. Mais les artistes ?

 

C’est une catégorie sociale, à la fois adulée dans les médias et jalousée par tous ceux, très nombreux qui avaient une vocation et qui ne l’ont pas suivie par souci élémentaire de gagner leur vie. Pour une part importante de l’opinion publique, les artistes sont déjà rémunérés par l’intérêt de leur métier, par le plaisir qu’ils y prennent, par le sentiment de se réaliser pleinement dans son exercice. Plus sordide encore est la conviction sourde qu’en les réduisant à la médiocrité financière, on suscite leur créativité. La faim serait leur meilleure conseillère, la bohème leur inspiration, l’incertitude leur aiguillon.

 

Parfois il semble que la société soit partagée en deux couches qui ne se mélangent pas : les véritables travailleurs astreints à des tâches ennuyeuses et répétitives, sans l’ombre d’une signification ; les dilettantes de l’art qui sont privilégiés par leur emploi. Ils ont pour fonction de distraire les premiers, voire de les faire réfléchir en peignant un monde où le travail, labeur et besogne, bagne et dévoreur de temps, serait supprimé. Ce ne serait qu’un luxe dont en temps de crise on pourrait se passer.

 

On peut être d’un avis diamétralement opposé. Une crise remet toujours l’ensemble des individus devant leur destin et les mène à se poser des questions existentielles : est-ce vraiment nécessaire de travailler pour dépenser et de dépenser pour faire travailler les autres ? La vraie vie n’est-elle pas absente ? Peut-on rêver à une existence faite de plaisirs, de rires et de jeux ? A force de s’exténuer pour nourrir sa famille, ne risque-t-on pas de la perdre de vue?

 

Face à une crise sanitaire qui précède et prépare une crise climatique, il faut enseigner une vie vraie qui ne soit plus faite de consommation à outrance. Les hommes politiques peuvent faire des discours, les pasteurs des prêches, les philosophes des thèses, en fin de compte il faut passer par le cœur plus que par le cerveau, par les tripes plus que par la calculette. A ce titre la culture n’est pas un luxe et tout artiste qui doit abandonner sa vocation pou un métier alimentaire constitue une perte irréparable, celle du sens.

 

 

 

 

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