Il faudra au moins une année pour que des vaccins puissent être proposés et, même ainsi, ce sera grâce à un tour de force des laboratoires. Il faudra donc s’accoutumer à vivre avec le virus, comme jadis nos ancêtres ont bien du supporter la peste et le choléra au prix d’une hécatombe récurrente et de crises économiques et politiques majeures. Nous allons aussi nous appauvrir, ce qui signifie toujours une augmentation de l’inégalité sociale. Nous allons donc nous disputer. Une peste engendre souvent et la famine et la guerre. Ce n’est pas un hasard.
A l’expansion vigoureuse du XIIIe siècle en Europe, aussi bien économique que démographique, succède un siècle de catastrophes. La famine éclate en 1315, la Guerre de Cent Ans débute en 1337 et la Peste Noire apparaît en 1347. La conjonction de ces trois phénomènes n’est pas une coïncidence, car leur effet commun est de réduire la population. On peut considérer que ce sont les mécanismes naturels de contrôle démographique qui sont entrés en jeu, faute pour la population médiévale de pratiquer une forme de contraception, qui dépassait manifestement son entendement.
Trois siècles d’expansion avaient fait doubler la population européenne. La France atteignit en 1300 une population de 20 millions d’habitants, soit déjà la moitié de sa population en 1914. Par ailleurs, la forêt avait été exploitée sans ménagement et le bois commençait à manquer, car il s’agit d’une ressource en énergie solaire, lentement renouvelable. Au XIVe siècle, la forêt occupait en France une superficie inférieure à ce qu’elle est maintenant. On avait en effet défriché toutes les terres cultivables avec les moyens rudimentaires de l’époque. Néanmoins, les terres fertiles étaient saturées par une population paysanne qui ne parvenait pas à nourrir les villes naissantes. En un mot, la population avait crû tandis que les ressources décroissaient selon une loi implacable de l’économie. Dans nos paysages, la trace de cette crise est l’interruption de la construction des cathédrales gothiques, magnifiques restes d’une période de prospérité qui s’est effondrée par le seul effet d’un bacille.
La Peste est venue comme la cerise sur le gâteau de la famine et a suscité la guerre. Le bacille était à l’état endémique en Chine (déjà) dont il se répandit par la route de la soie (déjà). Le taux de mortalité moyen, d’environ trente pour cent de la population totale et de soixante à cent pour cent de la population infectée, est tel que les plus faibles périssent et que la crise ne dure généralement que six à neuf mois. Pour réapparaitre lorsque les conditions sont réunies. La dernière épidémie européenne date de 1813 en Roumanie.
Telle est la donnée. Désagréable mais réelle. Comment vivre tout de même ? Ne serait-ce que pendant un an. Nous avons accepté le confinement, qui n’est rien d’autre que l’assignation à domicile, forme atténuée de privation de liberté. Pour la première fois la population, coupable d’exister, fut mise en prison pour expier les erreurs du pouvoir. Dès lors l’épidémie fut bloquée et n’engendra pas l’immunité prévue par la Nature. S’il n’ avait pas eu le confinement, avec une mortalité finale estimée de l’ordre du pourcent, cela aurait signifié pour la Suisse 80 000 morts en un an. Insupportable. Contraire à l’obsession du politiquement correct, selon lequel la mort d’un patient serait un échec de la médecine et non un phénomène biologique normal.
On ne peut bien évidemment pas continuer d’entraver l’activité économique. Il faudra donc trouver les moyens de reprendre, sinon les habitudes anciennes, du moins quelqu’astuce qui soit vivable. Nous sommes amenés à un changement de civilisation. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière.
Par exemple : port systématique du masque hors du logement, comme en Asie ; contrôle des grands rassemblements sportifs, culturels, formateurs, religieux ; disparition des bars dont la convivialité et la promiscuité fait l’attrait principal ; réduction des déplacements en moyens publics ; aménagement drastique des écoles ; instauration d’une véritable autorité sanitaire de surveillance, d’expertise et de prescription ; modification de la loi pour permettre le traçage efficace de tout porteur ; quarantaine obligatoire de tout porteur de virus ; adaptation de la fiscalité à la situation réelle des citoyens et des entreprises ; limitation des dépenses somptuaires tels que les transports aériens ; sauvetage des institutions culturelles, orchestres, opéras, théâtres, cinémas ; promotion de nouvelles activités économiques pour éviter tout chômage.
Beaucoup de ces mesures seront impopulaires. Il faudra cependant les imposer pour éviter le surgissement d’une nouvelle épidémie massive qui imposerait un nouveau confinement et aggraverait la crise économique. La question pendante est celle de l’adéquation des institutions suisses à cette gestion de survie. On pourra se reporter à ce qui fut la règle pendant les deux dernières guerres. Peut-être découvrir par extraordinaire une personnalité charismatique comme le général Guisan.
Mais il faudra d’abord que le système politique admette que nous sommes en mode survie pour de longs mois, voire plusieurs années au pire. Nous ne commencerons jamais trop tôt cet effort de réflexion. Il devra s’appuyer sur une connaissance réaliste de ce qui s’est passé, des erreurs commises de longue date et aussi des initiatives prises dans l’urgence par la solidarité spontanée des citoyens. Il faudra identifier non des coupables mais les responsables des erreurs, moins pour les stigmatiser que pour les mettre hors de possibilité de nuire. Or, ils sont essentiellement organisés pour assurer leur survie professionnelle. Ce ne sera donc pas facile, mais indispensable.
Car après l’épidémie viendra la transition climatique qui n’engendre pas d’immunisation et qui ne s’éteindra pas d’elle-même.