Si l’on peut découvrir la vérité, son principal intérêt est qu’elle est unique, tandis que le plus souvent les mensonges sont multiples. Des coteries peuvent donc se disputer sans fin au nom de menteries différentes. Un politicien peut aussi mettre la majorité de son côté en choisissant le mensonge le plus faux, le plus invraisemblable, parce qu’il rassemblera l’innombrable cohorte des plus ignorants. C’est la méthode efficace de Trump, qui applique en politique l’argumentaire d’un promoteur immobilier, domaine où il s’est entrainé à une certaine recette. Sans même le savoir sans doute tant il est inculte, il utilise la méthode préconisée par Hitler selon laquelle, quand on ment, il faut y aller sans retenue, au point où personne ne pensera qu’il soit possible de mentir à ce point. Plus c’est faux, plus cela paraitra vrai.
A titre d’exemple historique, la comédie française des masques en est une bonne illustration. En 2010, Roselyne Bachelot, pharmacienne de son métier, ministre de la Santé de 2007 à 2010, lance une campagne de vaccination contre la grippe, achète 300 millions de masques, des antiviraux pour 20 millions. Elle se le fait reprocher par une association de maires estimant ces dépenses inutiles et somptuaires et quitte son poste. Dès lors, le stock de masques est négligé et se périme. Au moment crucial en 2020, il n’y en a même plus assez pour le personnel médical, sans parler des caissières de supermarché. La croyance politique dominante devait être que les épidémies épargnent toujours la France, parce qu’elle est la patrie de Jeanne d’Arc et de Charles De Gaule.
L’épidémie survenant, face à cette pénurie résultant d’une incurie criminelle, les responsables de la Santé publique française commencèrent par rassurer la population, en affirmant que ces masques ne servaient à rien, parce qu’ils ne protègent pas le porteur mais son entourage. Ce mensonge servait évidemment à dissimuler l’incompétence du pouvoir. Puisqu’il n’y avait pas de masques à distribuer, il fallait prétendre qu’ils ne servaient à rien.
Bien entendu c’était faux. Cela est évident dès que l’on raisonne avec quelque rigueur. Si tout le monde porte un masque, chacun protège les autres. De ce fait, il est protégé lui-même. Dès lors si l’on adopte cette politique il n’est même pas nécessaire de confiner chacun à domicile. On établit une sorte de confinement mobile. Cette tactique simple permet d’éviter une crise économique compliquée.
La gestion de l’épidémie par quelques pays asiatiques et récemment de l’Est européen a obligé les menteurs français à se contredire. Début avril, ces mêmes autorités admettent que le port du masque est utile. On peut même prévoir qu’ils seront tentés de le rendre obligatoire, dès qu’il y en aura assez pour fournir le marché.
Sur cet exemple historique, on comprend comment et pourquoi le véritable problème de la politique consiste à accéder à la vérité le plus tôt possible. Si on la nie, on devient responsable des morts qui suivent le mensonge. Encore faut-il justifier la vérité, car la Science est volontiers remise en question. Sa réputation dans le grand public est ébranlée, parce que ses conclusions vont souvent en sens contraire de ce que le peuple croit.
Les scientifiques sont maintenant appelés à se disculper. Au nom de quoi croient -ils posséder la vérité ? Alors que toutes les opinions sont défendables en démocratie, existe-t-il vraiment des affirmations incontestables ? Comme le demande Pilate à Jésus : qu’est-ce que la vérité ?
Dans l’esprit du grand public, il n’existe que des dogmes, politiques, économiques ou religieux, c’est-à-dire des affirmations douteuses, défendues chacune par une coterie au nom de son pouvoir. C’est discutable par définition. Pourquoi la Science échapperait-elle à ce marécage ?
Il faut venir à la définition d’une vérité scientifique telle qu’elle a été inventée par Karl Popper (1902, 1994). A cette époque, il était confronté à la relativité d’Einstein, à la psychanalyse freudienne, au libéralisme et au marxisme. En quoi Einstein dit-il à l’évidence quelque chose de significatif, qui ne l’est pas pour Freud, Montesquieu ou Marx ?
La définition de Popper : un modèle est significatif au point de vue scientifique dans la mesure où il est falsifiable, c’est-à-dire que l’on peut imaginer une expérience qui contredirait le modèle. Un énoncé dont on ne peut pas prouver la fausseté n’est ni vrai, ni faux : c’est une conjecture, ce n’est pas un résultat scientifique. C’est parfois une escroquerie en bande organisée comme la scientologie, une justification du crime comme le racisme, un folklore populaire comme l’horoscope ou la voyance, un discours démagogique, un préjugé traditionnel.
Aujourd’hui seules quelques sciences naturelles, Physique, Chimie, Biologie possèdent la caractéristique d’être des sciences au sens de Popper. Cela ne veut pas dire que leurs énoncés scientifiques soient éternels. Bien au contraire. Une thèse de la science n’est jamais que provisoire et approximative, car elle est invalidée par n’importe quelle expérience, qui la contredit et qui propose un autre modèle, prenant en compte davantage de phénomènes. Elle ne devient pas fausse, elle est devenue insuffisante et dépassée.
Néanmoins à un certain moment, c’est la moins mauvaise approximation que nous connaissions de la vérité et, à ce titre, elle vaut mieux que n’importe quelle opinion, conjecture, impression ou préjugé. C’est ce dont on dispose de plus sûr pour fonder une politique efficace.
Application à la Suisse : l’ordonnance fédérale sur les mesures décidées contre le coronavirus date du 13 mars, soit deux mois après que l’épidémie ait été déclarée en Chine. Le directeur de l’OFSP a répété plusieurs fois face aux caméras que le port du masque n’était pas nécessaire plutôt que d’avouer que les stocks étaient insuffisants pour protéger tout le monde. Le 2 mars le Parlement fédéral s’est réuni et Magdalena Marturo-Blocher fut expulsée de la séance par la présidente, parce qu’elle seule portait un masque. Tel fut le degré d’aveuglement et de déni de la vérité.
La politique du gouvernement français a été inspirée par un comité scientifique, établi à cet effet. Certains commentateurs locaux se sont même offusqués que des décisions fondamentalement politiques soient en fin de compte prises par des scientifiques.
En Suisse, un tel comité n’a pas été créé et des spécialistes des épidémies dans les universités n’ont pas pu conseiller le Conseil fédéral.