Nous sommes face à une épreuve que nous n’attendions pas et dont ne supposions même pas qu’elle puisse advenir. Nous n’étions pas préparés comme l’indiquent les mesures improvisées par les responsables. Car il n’y a pas de thérapeutique : ni vaccination, ni médicament. Nous sommes soudain aussi démunis qu’au Moyen Age devant la peste, réduits à nos propres forces.
Cela se résume pratiquement à suivre les consignes des pouvoirs publics qui prescrivent d’éviter les contacts. C’est la seule stratégie qui demeure face à l’universalité de l’épidémie. Sans précautions le taux de transmission est de l’ordre de deux infectés par malade, ce qui signifie en bonne mathématique une croissance exponentielle, telle qu’elle se manifeste actuellement. Il faut abaisser ce taux en dessous de l’unité : si l’ensemble des malades ne transmet le virus qu’à un nombre plus restreint de contaminés, l’épidémie s’arrêtera d’elle-même. Tout le reste est inutile, comme par exemple la suggestion saugrenue de recourir aux huiles essentielles. On peut déjà se réjouir que les Eglises n’en appellent pas à des prières publiques, qui en réunissant les fidèles encourageraient la propagation.
L’incivisme en est évidemment l’inverse. Le soir des élections communales en France, il y eut quelques rares politiciens pour tenter d’améliorer leur score en critiquant l’action du gouvernement. Trump, qui n’en rate pas une, a fait grand cas dans une de ces célèbres interventions du test auquel il s’était soumis, alors que les autorités sanitaires insistent pour réserver ce test aux seules personnes présentant des symptômes graves, faute d’en disposer assez pour tester tout le monde. Tout ce qui fait planer une suspicion de favoritisme, d’incompétence, de complot sabote la confiance des citoyens dans le pouvoir. Si nous sommes en guerre contre un virus, il faut adopter des réflexes de discipline : une armée dont les soldats n’estiment pas leurs chefs court à la déroute.
Cette épidémie est donc une occasion de mesurer le degré de civisme des différentes populations. Quand on en fera le bilan, on découvrira que certains pays, certaines couches d’une nation, auront mieux résisté que d’autres, en ce sens que l’épidémie se sera éteinte plus vite et que le taux de mortalité sera moindre. La Chine, responsable du déclenchement de l’épidémie, semble avoir réussi à la maîtriser très rapidement grâce à la possibilité dans une dictature de contraindre les citoyens à une discipline rigoureuse. Dès lors, les démocraties, qui échoueraient à la maîtrise de l’épidémie, démontreraient que leur régime vaut moins qu’une dictature. C’est la porte ouverte ensuite aux partis populistes, dont la vocation est bien évidemment de réduire les libertés.
En réclamant la fermeture des frontières françaises, le Rassemblement National vient de suivre cette pente. C’est une façon de stigmatiser les autres, tout comme Trump qui parle du virus « étranger ». Or, nous sommes devant un défi planétaire, qui requiert non seulement le civisme des citoyens, mais aussi celui des Etats. Ce n’est pas le moment de se disputer, ni de renoncer à la solidarité.
En se tenant à l’écart de l’UE, la Suisse n’a pas joué ce jeu avec le continent. Elle n’a cessé de se demander ce que l’Europe pourrait bien lui apporter, sans se poser la question inverse de savoir ce qu’elle devrait lui apporter en dot : la démocratie directe, la concordance, le fédéralisme, la subsidiarité, tous ces trésors de nos institutions élaborées au fil de sept siècles.
Résultat : l’Allemagne rechigne à nous livrer des fournitures médicales dont nous aurions le plus grand besoin mais qu’elle réquisitionne à son usage. Faire preuve de civisme entre nations revient à ne pas nous en plaindre maintenant et à en tirer la leçon évidente pour le futur : en cas de malheur on a besoin d’amis que l’on doit enrôler bien avant.