Une chronique politique sans parti pris

Où se niche la morale?

Où en sommes-nous avec la votation du 9 février sur l’initiative de l’UDF contre l’élargissement de la norme pénale aux propos homophobes ? D’où venons-nous ?

« L’homosexualité, surtout masculine, est un des aspects les plus affligeants et répugnants de notre civilisation qui défie l’ordre naturel… » Telle est l’accroche d’un article paru dans 24 Heures le 23 novembre1966. Il rend compte d’un jugement rendu par le tribunal de police criminelle de Lausanne sur six cas d’homosexualité, trois concernant des cas de pédophilie et trois des       « partenaires ayant atteint la maturité légale ». Les trois premiers entrainent des condamnations à quelques mois de prisons. Les trois derniers à l’acquittement mais au paiement des frais de justice. Commentaire consterné et consternant de 24 Heures :               « Jugement trop clément à notre avis. »

Voilà où nous en étions il y a moins d’un siècle. Des propos homophobes étaient assénés à la population par la gazette vaudoise, reflétant le préjugé commun de l’époque : l’homosexualité est une perversion ; il appartient aux tribunaux de la réprimer. Nous en sommes maintenant au point de réprimer par les tribunaux des incitations à la haine homophobe. Aucun journal n’oserait publier aujourd’hui les propos de 1966. Ce qui était moral est devenu vicieux, ce qui était vicieux est devenu normal. L’obligatoire et l’interdit ont permuté.

Notons en passant que la pédophilie, tenue maintenant pour un crime passible de plusieurs années de prison, n’était à l’époque que légèrement condamnée et assimilée dans un jugement collectif à une forme particulière d’homosexualité. Dans le même esprit, on serait intéressé d’apprendre combien de jugements vaudois de cette année ont condamné des cas de viol ou de violence conjugale à l’égard de femmes.

Sur cet exemple, on peut apprécier à quel point la morale dite naturelle ou l’éthique contemporaine sont tributaires de préjugés locaux et transitoires. Dans le débat parlementaire sur des sujets connexes comme le mariage pour tous, la PMA, la GPA, l’avortement, les OGM, sont auditionnées des commissions d’éthique dont la liste – partielle – est impressionnante :
1. la Commission fédérale d’éthique pour le génie génétique dans le domaine non humain;
2. la Commission d’experts pour la sécurité biologique;
3. la Commission nationale d’éthique, qui se fonde sur la loi sur la procréation médicalement assistée;
4. la Commission fédérale pour l’analyse génétique humaine,;
5. la Commission centrale d’éthique de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM);
6. la Commission d’experts chargée d’autoriser la levée du secret professionnel dans les domaines de la recherche médicale;
7. diverses commissions d’éthique créées pour “l’évaluation des essais cliniques”;
8. la Commission fédérale pour les expériences sur animaux instituée par la loi sur la protection des animaux;

Cela donne l’impression d’une « panique éthique », où le législateur s’efforce piteusement de combler le vide créé par l’abandon des morales religieuses, en se fondant finalement sur l’opinion publique distillée par des comités d’«experts » autoproclamés. Or, à quelques années de distance, ces comités délivrent des avis rigoureusement contradictoires. Cela donne l’apparence d’une démarche scientifique à ce qui n’est que du conformisme ambiant, de l’immobilisme remuant, du progressisme rétrograde.

Ce qui nous manque, c’est une ouverture, un ancrage, une fondation qui soit transcendante et spirituelle, élevant bien au-dessus des préjugés courants, des brèves de comptoirs et des radotages sectaires. Ce fut jadis l’œuvre des religions et des philosophies. Or, elles ont perdu la main. Il faut inventer une forme de spiritualité laïque qui obtienne une large adhésion et qui permette d’aborder les redoutables problèmes à venir avec sérénité, rationalité et acquiescement.

Mais au fond, sur quoi sommes-nous d’accord ? Sommes-nous d’accord sur quelque chose de plus fondamental encore que la démocratie, l’Etat de droit et le libéralisme ? Par exemple l’amour inconditionnel du prochain ? Même s’il est homosexuel ?

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