Une chronique politique sans parti pris

Chronique de saison : le foie gras comme médicament remboursé

 

De nombreux pays excentriques ont banni légalement le foie gras. Ils ne se ne se préoccupent pas du plaisir des consommateurs, mais de l’inconfort des animaux. Ces derniers prennent petit à petit notre place au sommet de la création. C’est en leur nom que les vitrines des boucheries sont fracassées. C’est pour célébrer leur règne que le buffet de la gare de Lausanne est désormais végétarien. L’oie est désormais le pire ennemi de l’homme.

Le foie gras, dont j’espère que abusâtes autant que je le fis, est bon pour la santé. Contrairement à tout ce que l’on a toujours dit et écrit sur le sujet, non seulement ce corps éminemment saturé de graisses animales n’est pas mauvais pour le cœur, en fait il le protège, il est même indispensable à son bon fonctionnement.

La théorie classique des rabat-joie prescrit d’austères régimes: pas de sel, pas de sucre, pas d’alcool, pas de tabac et surtout pas de graisses animales qui engendrent le cholestérol, qui bouchent les artères, qui préparent le terrain de l’infarctus. Or le foie gras ne contient pas moins de 87% en moyenne de ces célèbres acides gras saturés, promoteurs de cholestérol et de décès prématurés. Dans une certaine logique puritaine, cela va de soi: tout ce qui fait plaisir doit nécessairement être nuisible pour la santé; la seule façon de vivre longuement est de s’organiser une vie triste. Il faut s’économiser. C’est bien connu: le gourmand creuse sa fosse avec ses dents.

Heureusement les statistiques sont là pour démentir ce discours sinistre. Sur 100 000 Américains, privés de vin et de foie gras, il en meurt chaque année 315 d’une crise cardiaque, tandis que dans les mêmes conditions il ne meurt que 145 Français, malgré les abus de table dont ils sont coutumiers. Mieux encore, à Toulouse, patrie du cassoulet au confit d’oie, vachement gras, il n’en meurt plus que 80 et, dans les départements du Gers et du Lot, patries du foie gras, producteurs et consommateurs fanatiques de ce produit délectable, la population a le plus faible taux de mortalité par maladie cardiaques de toute la France. On ne sait pas très bien pourquoi, mais c’est un fait établi par les statistiques : manger du foie gras protège le cœur et prolonge l’existence.

Quand ils ont appris cela, les spécialistes de la diététique ont été bien ennuyés. Leur théorie classique des corps gras en prenait un fameux coup. Ils se sont alors rabattus sur la thèse psy. Les mangeurs de foie gras, selon eux, seraient complètement saturés de cholestérol mais ils n’en mourraient pas parce qu’ils ne sont pas stressés, parce qu’ils passent de longs moments à table dans la joie et dans l’amitié. En somme, ce sont des malades qui trichent avec la médecine et qui s’obstinent à vivre contre toutes les prescriptions de la Faculté. Ils ne sont pas sérieux, ils font de la peine aux bien pensants, ce sont des vilains.

Peu importe les raisons, bonnes ou mauvaises des mangeurs de foie gras. Je reste de leur parti: je préfère bien manger et vivre longuement plutôt que de me priver et de mourir prématurément.

Je demande donc que la loi soit modifiée : le foie gras sera désormais considéré par Swissmedic comme un médicament, prescrit à titre préventif par mon médecin de famille et remboursé intégralement par ma caisse maladie. Bien entendu le foie gras ne sera plus vendu qu’en pharmacie, là où il sera sacralisé aux yeux des consommateurs. Il sera interdit de le vendre ailleurs. En annonçant leur intention de ne plus vendre de foie gras, Migros, Coop et Denner ont sagement anticipé un règlement qui finira par s’imposer. Un médicament vendu en grande surface, cela ne fait vraiment pas sérieux.

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