Une chronique politique sans parti pris

Pourquoi refuser d’écouter la candidate Verte

 

Tous les arguments contre une candidate Verte au Conseil fédéral ont été amplement agités. Or, l’argument en sa faveur est simple : le Conseil fédéral dans sa composition actuelle n’a pratiquement rien fait pour diminuer l’empreinte carbone de la Suisse. S’il est reconduit, nous perdrons encore une fois quatre ans. Plus nous trainons, plus les mesures deviendront pénibles et coûteuses. Or la droite, PLR et UDC, débordant même sur le PDC, n’en a pas conscience, vit dans un déni de réalité et s’enfonce dans une impasse. Typique est le refus d’entendre la candidate Verte, comme si, en lui donnant la parole, on courait le risque d’être convaincu. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
On aurait pu espérer que la transition climatique ouvre une dimension neuve dans le paysage politique, radicalement différente de la classique opposition entre droite et gauche : pour ou contre le nationalisme, le soutien de l’économie libérale, la méfiance de l’Etat. Or cette attente est déçue : on a beau considérer un paramètre fondamental de la planète, qui concerne tout le monde de la même façon, il subsiste encore des divergences partisanes. On s’engage dans la lutte pour la survie de beaucoup d’humains avec des réflexes datant des trente glorieuses, quand la surconsommation pour tous paraissait possible sans limites.
D’un côté, Trump, Johnston, Le Pen, Salviani et même Rösti sont climatosceptiques par une sorte d’automatisme, alors que ce n’est pas le fonds de commerce habituel de la droite, plutôt pragmatique. De l’autre, la gauche, souvent irréaliste par excès d’idéalisme, est fascinée par le réchauffement climatique, dans l’optique d’une foi quasiment religieuse qui ne supporte aucune contestation.
Pour nier la réalité, la droite avance, dans le même discours, trois arguments contradictoires : il n’y a pas de réchauffement climatique ; s’il y a un réchauffement, il n’est pas du fait de l’homme ; le serait-il même, qu’il n’appelle pas de mesure. Son argumentaire zigzague entre ces trois positions. Rien n’est sûr, tout est vague, toutes les thèses se valent et s’annulent mutuellement. En comparaison, les prophètes gauchistes de la transition climatique, arcboutés sur des faits irréfutables, paraissent paradoxalement têtus, bornés et maniaques. La pensée molle en politique est à ce point habituelle qu’un raisonnement aussi bien fondé et articulé semble de ce fait douteux.
La politique en matière climatique est un jeu à somme nulle. Aussi longtemps qu’il est libre de ses choix, chaque Etat ne peut que refuser de réduire son empreinte CO2, parce que sinon sa capacité concurrentielle en souffrirait au bénéfice des autres Etats. Dès lors, tous se regardent en chiens de faïence, signent les yeux fermés tous les traités du monde, mais se gardent bien de les appliquer.
Cependant, la maîtrise du climat constitue un problème planétaire parce qu’il n’y a qu’un seul climat et une seule planète. L’incurie des uns nuit à tous, y compris au coupable. Or, l’enjeu ultime est la survie de l’espèce. A ce problème planétaire n’existe qu’une seule solution pratique : un exécutif planétaire doté de moyens de coercitions pour se faire obéir de tous. L’Etat-nation deviendrait alors une survivance du passé, un pouvoir subordonné, réduit à l’expédition des affaires courantes.
C’est insupportable pour la droite et gratifiant pour la gauche. Comme, depuis la chute du Mur de Berlin, cette dernière est en panne d’idéologie, l’écologie lui sert de pneu de secours. Tandis que la solution réaliste est inacceptable pour la droite, qui est contrainte de pratiquer le déni de réalité. Dominique de Villepin l’avait déjà formulé cyniquement : « Si on ne trouve pas de solution, cela signifie qu’il n’y a pas de problème ».
Pour sortir de cette impasse, il faut arriver à s’extraire de la guerre de tranchées politique qui fut la norme. Il faut faire bouger les lignes. La machinerie économique du capitalisme sera indispensable pour équiper la planète des appareils de captation des énergies solaires et géothermiques. Mais ce changement à 180° n’est possible que par un renforcement du pouvoir international existant à l’état d’embryon. Il faudra convaincre les peuples de se restreindre, projet dans lequel le marxisme avait excellé, jusqu’à faire de la pénurie un idéal de vie.
En d’autres mots, il faudrait prélever dans les deux idéologies ce qui peut servir dans la circonstance et prohiber le reste, c’est-à-dire inventer une économie compatible avec l’écologie. Vaste programme qui n’a pas encore été abordé où que ce soit. A titre d’exemple, pour diminuer la consommation de tout, y compris l’énergie grise contenue dans n’importe quelle marchandise, il faut commencer par restreindre cette publicité dont l’objectif est de susciter des besoins inexistants. On a de la peine à imaginer le moyen par lequel on aboutirait à ce moratoire. Comment subsisteraient les médias de toute sorte qui en dépendent ?
Plus fondamentale encore est la nécessité de concilier la restriction de la consommation et la protection des plus faibles. Une simple politique d’augmentation des taxes sur l’énergie est vouée à l’échec comme l’a démontré la révolte des gilets jaunes. Même si on rembourse le trop perçu à la population par une politique de subsides, rien ne garantit que ce qui est retenu aux uns leur revient intégralement.
Mais la difficulté majeure sera de créer cette instance internationale alors que les nationalismes fleurissent. Cela ne se fera pas spontanément et à temps. La transition climatique devra se faire pressante pour que les populations acceptent de s’y conformer. En d’autres mots, il faut attendre bras croisés la catastrophe. Mercredi prochain, lors de l’élection du nouveau Conseil fédéral, on fera encore un pas dans cette direction.

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