Le type du slogan creux. Tel est ce refrain récent de la plupart des interventions publiques, aussi bien sur la transition climatique que sur la mondialisation ou le creusement des inégalités. Les partisans de la gauche insistent sur l’obligation de tout changer, ceux de la droite sur l’impossibilité d’y arriver. En attendant des propositions concrètes et réalistes, nous vivons toujours dans ce système bien installé, qui modifie le climat de la planète, qui crée le désordre de l’économie et qui ramène les travailleurs sous le seuil de pauvreté.
A titre d’exemple, la transition climatique ne peut être maîtrisée qu’en réduisant, voire en supprimant la production de CO2 par combustion de fossiles, charbon, gaz et pétrole. Autant le principe est simple et l’énoncé évident, autant la réalisation est plus que problématique. Ces combustibles représentent 80% des énergies utilisées sur la planète. Le nucléaire apporte encore 5%, dérisoires par rapport au risque qu’ils représentent. Par déduction les énergies renouvelables représentent 15% des ressources utilisées, tout de même trois fois plus que le nucléaire pour un investissement bien moindre. Il faudrait qu’elles croissent idéalement jusqu’à 100% de l’énergie consommée, ce qui n’est possible que si celle-ci est réduite de moitié d’ici là. Cela ne se fera pas sans peine, ni sans conflits . Ni sans délai, certainement pas à l’horizon 2030 ou même 2050. Prétendre le contraire est une duperie.
La réduction de l’énergie consommée ouvre plusieurs perspectives. On peut isoler les bâtiments et alimenter tous les chauffages par des pompes à chaleur ou des chaudières à pellets. C’est sans doute la voie la plus accessible, qui aura de surcroit le mérite de créer de nombreux emplois pour remplacer ceux qui disparaîtront.
Mais comment remplacer les voitures à essence, qui pour bien des habitants constituent le véhicule obligé de circulation ? La voiture électrique est une solution problématique, car trop coûteuse. La pile à combustible alimentée par hydrogène doit encore être explorée. Au-delà du véhicule, l’aménagement actuel du territoire avec la dispersion de l’habitat, des commerces, des écoles, des entreprises nécessite une réforme, qui n’a pas encore été sérieusement envisagée. Certes l’idéal serait de revenir à la situation des siècles antérieurs, où la majeure partie des emplois se situaient à domicile ou à sa proximité, mais il est loin d’être évident d’y parvenir.
En plus du transport des personnes, il faudra réduire celui des marchandises, y compris les gros tonnages représentés par les aliments. L’idéal à nouveau serait de ne consommer que des produits de proximité. Mais ce n’est pas possible pour les grandes agglomérations, qui comportent plusieurs millions d’habitants. Cela suppose donc le démantèlement de celles-ci.
Cette esquisse de la réforme nécessaire en fait pressentir l’ampleur et la difficulté. Il y faudra l’exercice d’un pouvoir fort, compétent, intègre, charismatique, qui est actuellement une denrée rare.
Dès lors, les révoltes populaires se produisent sur toute la planète. Au Nicaragua contre la réforme de la sécurité sociale (325 morts) ; au Chili contre la hausse du ticket de métro (20 morts) ; en Algérie contre le président Bouteflika ; au Soudan contre le triplement du prix du pain (250 morts) ; au Liban contre la hausse de taxe des appels téléphoniques ; à Hongkong contre la mainmise de Pékin (1mort) ; en Irak pour obtenir du travail (270 morts). Sans oublier les gilets jaunes en France.
Ce qui frappe, c’est à la fois la variété des motivations et des revendications, qui coexistent avec l’appel uniforme à « changer de système ». On ne peut imaginer revendication plus floue : que faire si un gouvernement élu démocratiquement ne parvient pas à gérer la situation. Il n’y a plus d’interlocuteur pour répondre à la protestation. Le message fondamental de celle-ci est la méfiance absolue à l’égard de la politique, la perte de sa légitimité face au phénomène de mondialisation. La délocalisation d’une grande entreprise, fournisseuse de multiples emplois, est le prototype révélateur de l’impuissance des exécutifs élus face à l’économie libérale. L’Etat, en se démontrant incapable de protéger les citoyens, perd toute crédibilité.
Les « élites », bénéficiaires du système, n’ont rien à proposer. Même si elles le font comme avec Macron en France, elles se heurtent au refus des insoumis. Puisque ceux-ci n’ont ni programme, ni structure, le jeu classique de la démocratie parlementaire avec majorité et opposition ne fonctionne pas. L’alternance n’est plus une solution. Ce qui se passe en Grande-Bretagne, génitrice de tous les parlements, est révélateur. Même là où il a été inventé, le système parlementaire ne fonctionne plus,. Sa racine pourrit.
Avant la chute du mur de Berlin, on pouvait au moins nourrir l’illusion qu’il existait une alternative entre capitalisme et socialisme. La brutalité de cet effondrement a éteint tout espoir. Aujourd’hui encore les partis socialistes subissent un peu partout le désenchantement de leurs militants. En face, le libéralisme fonctionne comme l’évolution biologique, sans pouvoir organisateur, gouverné par le hasard et la nécessité. Il est ce qui marche provisoirement, en assurant une rentabilité comptable au prix d’une faillite de l’environnement planétaire. Comme le long terme n’est pas pris en compte, un jour c’est lui qui imposera des solutions forcées au prix de grandes souffrances.
L’Histoire s’est ainsi remise en marche après quarante ans, débordant le lit du long fleuve tranquille qui a pris sa source en 1989. Ce que les gouvernants ne comprennent pas l’est intuitivement par les peuples, qui ont les pieds dans l’eau et pas toujours au figuré. Alors que la démocratie est soupçonnée d’inefficacité, c’est sans doute le moment de la prendre vraiment au sérieux en ôtant le pouvoir des lobbys.