Le Suisse Pierre Krähenbühl, commissaire général de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), est mis en cause par une enquête interne pour abus de pouvoir et a démissionné mercredi avec effet immédiat. Cet ancien cadre du CICR a rejeté toutes les accusations portées contre lui. Il a notamment affirmé que « l’enquête toujours en cours n’a mis à jour aucun cas de corruption, de fraude ou de mauvaise gestion. Et l’allégation de favoritisme envers une collaboratrice ou de liaison avec cette collaboratrice a été jugée comme non existante par le rapport interne. »
Comme tout accusé, il bénéficie de la présomption d’innocence, qui est même renforcée par sa carrière antérieure. Pierre Krähenbühl se conforme au prototype du diplomate helvétique, passé par le CICR, impliqué dans ces opérations de pacification discrète qui sont la vocation de la Suisse. On peut donc légitimement évoquer dans cette affaire l’hypothèse d’un complot, visant moins l’homme que l’institution.
L’UNRWA fournit une aide essentielle à des millions de réfugiés palestiniens en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Palestine. Elle emploie 30 000 personnes. Plus de 700 000 Palestiniens ont fui leurs terres en 1948, au moment de la création d’Israël. Ce provisoire définitif dure depuis 70 ans et ne manque pas de gêner Israël, embarrassé par ces « réfugiés » perpétuels, traces visibles de la conquête de son territoire au détriment d’un peuple établi de longue date sur le même sol. Manifestement, il y au Proche-Orient un peuple de trop ou un pays de trop peu. Cette anomalie empoisonne toute la politique de la région qui est une poudrière menaçante pour la paix internationale.
Il vaut la peine d’en déterrer la racine la plus profonde pour en comprendre la nature. Cette tragédie débute voici plus de trois mille ans. Dans la Bible, le livre de Josué décrit la première entrée d’Israël en Palestine. La conquête de la Terre Promise est présentée comme violente, ce qui est conforme aux us de l’époque, mais qui s’apparente plus à un mythe qu’à l’Histoire..
Il ne s’agit pas d’une guerre, réelle ou fabulée, au sens ordinaire du terme, visant la seule conquête d’un territoire, mais bien d’un génocide comme cela est précisé dès la chute de Jéricho : « Les Israéliens vouèrent à l’interdit tout ce qui se trouvait dans la ville, aussi bien l’homme que la femme, le jeune homme que le vieillard, le taureau, le mouton et l’âne, les passant tous au tranchant de l’épée. (Josué 6,21) ». Cet interdit correspond à la prescription de la Torah : « Mais les villes de ces peuples-ci, que le Seigneur ton Dieu te donne comme patrimoine, sont les seules où tu ne laisseras subsister aucun être vivant (Deutéronome 20,16) ».
Le génocide est prescrit par la Torah comme un acte religieux, une purification nécessaire pour éviter la contamination d’Israël par des cultes païens ou par des Israéliens indignes. Non seulement ce « Dieu » ne réprouve pas le génocide, mais il l’ordonne. Cette antique injonction pèse toujours sur un lieu d’origine des trois monothéismes. Les franges radicales du judaïsme et de l’Islam peuvent s’y référer. La chrétienté ne fut pas en reste avec l’épopée ambigüe des Croisades, colonisation à prétexte religieux.
Tout cela semble nous mener bien loin du cas de Pierre Krähenbühl, mais nous y ramène par l’opposition entre une diplomatie de la paix et des religions de la guerre. Les trois monothéismes ont hérité de leurs sources antiques, où la religion servait de caution transcendante au pouvoir politique. Elle n’avait pas pour but la sanctification des personnes mais la sacralisation de l’Etat.
Or la Suisse n’est plus dans cette optique. Elle a hérité plutôt du Siècle des Lumières où le pouvoir émane du peuple grâce à la réflexion du citoyen genevois Jean-Jacques Rousseau. Le consensus miraculeux de sa politique interne se projette dans l’espace international pour y semer des germes de paix. Placer un Suisse à la tête de l’UNWRA allait dans ce sens. Mais la clameur des batailles rend sa présence inopportune. Les Etats-Unis de Trump viennent de supprimer leur apport à l’agence qui est privée d’un tiers de son budget. Cette démarche révélatrice se conforme au rôle de pouvoir protecteur d’Israël. Il faut maintenant choisir entre l’héritage de Josué, à base d’un génocide lent du peuple palestinien, et celui de Rousseau, respectueux de tous les peuples, entre le Dieu des armées et celui des Béatitudes.