Une chronique politique sans parti pris

Pas de règlement pour l’euthanasie

Un médecin de Pully a effectué une euthanasie, l’a reconnu devant le tribunal et a été condamné à une peine de principe qui lui épargne la prison : 5 ans avec sursis, alors que la peine maximum eut été de 20 ans. Il n’est ni le premier ni le dernier à subir cette épreuve pénale, qui revient à une forme dissimulée d’acquittement, après tout de même quatre années d’instruction et d’angoisse.

Or, si la loi avait été appliquée dans toute sa rigueur, comme s’il s’agissait d’un meurtre, s’il avait été condamné à de la prison ferme, la réprobation publique aurait été quasi unanime. Secrètement, la plupart des citoyens souhaitent mourir sans agoniser interminablement : pour eux, une « bonne » mort est tardive et instantanée. Si possible n’en étant même pas conscient.

Il n’en a pas toujours été ainsi, bien au contraire. Un toast irlandais propose : puissiez-vous vivre cent ans et une année de plus pour vous repentir ! Une « bonne » mort est celle qui laisse le temps de se préparer à la vie future par le remords, voire les derniers sacrements. En 1715, agonisant durant trois semaines, Louis XIV a dit à son arrière-petit-fils, le futur Louis XV : « je souffre beaucoup mais je souhaite souffrir davantage pour expier mes péchés ».

C’est cela qui a changé. Le doute de nos contemporains porte sur deux croyances : existe-t-il une forme de vie après la mort ? Les souffrances endurées durant la vie terrestre améliorent-elles le passage dans cette seconde vie ? Pour une fraction croissante de l’opinion publique, les réponses sont deux fois négatives : la seule vie que nous expérimentions ne mérite plus d’être vécue au-delà d’un certain seuil.

Face à ce changement de société, la loi actuelle est fondée sur d’exaspérantes distinctions juridiques : le code éthique de l’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) autorise donc « la renonciation à la mise en œuvre ou arrêt des mesures nécessaires au maintien de la vie » (euthanasie passive) et l’« administration de substance pour réduire les souffrances et dont les effets secondaires sont susceptibles de réduire la durée de survie » (euthanasie indirecte active). De même le suicide assisté est autorisé pourvu que le mourant soit encore capable de porter lui-même à ses lèvres la potion léthale. Est interdit l’euthanasie active où une tierce personne pratique une injection mortelle.

En somme, la loi n’interdit pas le principe de l’euthanasie mais distingue entre les modes opératoires : les uns sont acceptés, un autre est réprimé. Ce n’est pas l’intention qui compte, mais la nature du geste : c’est celui-ci qui fait la distinction entre un geste de compassion et un meurtre avéré. De telles contorsions juridiques n’élaborent pas une pratique conforme aux aspirations de certains, même s’ils subissent l’opprobre des autres.

Quels sont les arguments de ces derniers ? Chacun doit vivre dans la dignité, jusqu’au bout de sa vie ; la loi doit protéger les plus fragiles ; l’interdit de tuer structure notre civilisation ; demander la mort n’est pas toujours vouloir mourir ; légaliser l’euthanasie ce serait la banaliser sans éviter les dérives. Ces arguments sont soutenables mais débouchent sur des controverses sans fin. Qu’est-ce que la dignité ? Qui sont ces plus fragiles ? Comment définir une dérive de l’euthanasie ? Pourquoi la prohibition du meurtre, caractéristique de notre civilisation, n’interdit-elle pas la participation à une guerre, la légitime défense, l’avortement ?

Et surtout pourquoi est-il interdit de tuer ou de laisser mourir un animal dans la douleur ? C’est considéré comme inhumain et réprimé par la loi. Celle-ci impose à l’homme seul une épreuve qu’elle épargne à l’animal.

On promet bien du plaisir à l’administration et au parlement qui devront, tôt ou tard, élaborer une législation autorisant plus ou moins l’euthanasie comme en Belgique ou aux Pays-Bas. Si celle-ci dépendait d’une décision médicale, administrative ou judiciaire, réglementée par un texte, ne serait-ce pas le pire ? Ne vaut-il pas mieux continuer dans le flou juridique actuel, en comptant sur le discernement du ministère public et la compréhension d’un tribunal ? Ne vaudrait-il surtout pas mieux de s’en remettre au colloque singulier entre patient et médecin, en se gardant bien d’y mêler les pouvoirs publics ? Il existe des actes humains qui se situent dans une zone où le droit n’a rien à dire et où l’Etat n’a rien à faire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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