Une chronique politique sans parti pris

De la publicité commerciale à la propagande politique

 

Les campagnes électorales sont propices à des outrances : chaque parti, chaque candidat embellit ses propositions. C’est de bonne guerre. Avant de se présenter à un rendez-vous important, pour la profession ou la vie affective, qui ne se met à son avantage ?

Toute autre chose est de déprécier le programme des partis concurrents. En Suisse, cela ne fait guère, par la raison évidente que les exécutifs sont fondés sur la concordance et que chaque candidat, chaque parti sait qu’il devra plus tard collaborer avec d’autres. Et donc on ne s’en prend surtout pas aux personnes.

De même chacun s’efforce de coller à la réalité plutôt que de la nier dans la tradition funeste des propagandes nazies ou communistes. On a envie d’écrire que la Suisse fut le pays de la politique bien tempérée.

Car ces bonnes manières commencent à s’effriter : en 2014 la Suisse fut secouée par l’initiative du 9 février de l’UDC contre l’immigration de masse, qui signifiait la perte des accords bilatéraux et aussi des programmes Erasmus et Horizon 2020. Durant la campagne l’UDC diffusa un toutes boites prétendant sous la signature de son président que ce risque n’existait pas. Ce mensonge avéré emporta la décision du peuple à une faible majorité. Deux semaines plus tard la Suisse perdait Erasmus et Horizon 2020. A titre d’avertissement.

Durant la présente campagne deux partis se sont à nouveau distingués par de mauvaises manières. L’UDC a diffusé un premier toutes boites niant la réalité de la transition climatique, un mensonge énorme, et un second affirmant que la Suisse est menacée par une invasion de requérants d’asile, qui n’ont en réalité jamais été aussi peu nombreux.

Le PDC a innové par une campagne innovative utilisant à fond les ressources d’Internet. Le surfeur qui demande une information sur un candidat d’un autre parti est interrompu par un message du PDC précisant que ce candidat soutient un parti dont le programme est largement déficient sur trois points. Cela suscite deux difficultés : tout d’abord tout membre d’un parti n’est pas nécessairement d’accord avec toutes les options de son parti et n’a donc pas à être stigmatisé pour celles-ci. Mais plus grave est le procédé lui-même. Tout utilisateur d’Internet sait qu’à tout moment il peut être agressé par un message publicitaire non sollicité. Le PDC utilise cette ressource de la publicité pour faire sa propagande. Or nous sommes tellement habitués à l’intrusion publicitaire continuelle que nous la considérons à la fin comme normale.

Nous croyons vivre dans une société de l’information par la multiplicité des canaux où des données circulent. En principe les médias, la Toile, les réseaux sociaux, les affiches nous renseignent abondamment sur la réalité vécue. A cette exigence, il n’existe qu’une exception, un territoire de l’information sans foi, ni loi : la publicité. Si c’est pour vendre, on a le droit de mentir. Nous recherchons l’information parce qu’elle est profitable. Si une fausse information, bien circonscrite, rapporte gros, elle mérite d’être diffusée sans vergogne. Et donc si un mensonge rapporte des voix dans un vote, il est légitimé par extension.

Soyons précis : certaines publicités sont informatives : les soldes sur le textile, une remise sur l’achat de voitures, une baisse du prix des légumes. C’est de la réclame, le moteur essentiel d’un marché fondé sur la rencontre entre l’offre et la demande. Mais la véritable publicité est tout autre chose.

Au début, elle nous fait désirer des objets, dont nous n’avons jamais eu besoin. Et ensuite, elle nous fait prendre ces mêmes désirs pour des besoins. Avant d’avoir réfléchi, on se retrouve avec un téléphone mobile, un ordinateur, une brosse à dent électrique. De tout cela on n’avait pas besoin. Très précisément, on l’a acheté parce que l’on n’en avait pas besoin. Il est impossible de faire régresser la consommation de produits superflus si la publicité continue de créer des besoins inexistants. De même il est impossible de se déterminer sereinement et lucidement dans un vote si la motivation est manipulée et la perception trafiquée.

La publicité doit nous séduire. En nous prenant par les sentiments, les sensations, les sens. Cela ne nous intéresse pas de savoir ce que cela coûte, si cela nous sera utile, si cela marche vraiment. La publicité doit susciter le désir dans l’inconscient de l’animal que nous sommes demeurés, désireux de vivre et de survivre. Il faut suspendre le temps qui s’égrène. La religion de la consommation constitue l’exorcisme de notre époque. On ne nous promet plus le ciel après la mort, mais l’abondance durant cette vie. La publicité est par nature irrationnelle. De même en politique on peut inventer des problèmes inexistants faciles à résoudre pour se dispenser de présenter des solutions réalistes aux véritables problèmes : pension, santé, formation, relation avec l’UE, climat.

Il n’est jamais facile de changer de civilisation, comme on doit le faire dans l’urgence climatique. Informer, instruire et convaincre les populations est l’objectif incontournable de gestion de la transition climatique. Pour cela, il faudrait commencer par supprimer la désinformation constituée par la publicité. Ce ne sera pas facile, voire impossible. Mais au moins, en attendant, ne plus admettre que dans une campagne électorale les mêmes recettes soient usées et abusées pour manipuler l’électeur. Il y va de la démocratie à une époque où d’aucuns commencent à célébrer les dictatures.

 

 

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