Une chronique politique sans parti pris

Le collège invisible

Le collège invisible

 

Les sciences naturelles bénéficient d’une réussite brillante depuis quatre siècles, depuis qu’un savant renommé, Galilée, s’est prononcé en faveur du système cosmologique de Copernic, c’est-à-dire la rotation de la Terre autour du Soleil. Les premières revues scientifiques paraissent simultanément à  Paris (Journal des savants) et à Londres Philosophical Transactions en 1665. Elles servirent de modèle aux futures revues qui abondent aujourd’hui bet dont les plus prestigieuses sont Nature, Science, The Lancet. Un mécanisme totalement inédit a ainsi émergé, qui gouverne aujourd’hui encore la démarche de la recherche scientifique.

L’expertise des articles soumis pour publication écarte les productions non originales, contenant des erreurs ou carrément frauduleuses. L’existence d’un comité constitué d’autorités du domaine joue un rôle prépondérant pour la qualité et la réputation d’une publication scientifique. Cette évaluation par les pairs (peer review en anglais) assure la sélection des meilleurs articles et, surtout, à travers ces périodiques le progrès de la science.

Cela soulève la question essentielle : qui mérite d’être considéré comme un pair ? La réponse est simple : quiconque a déjà publié des articles de qualité. Le processus s’engendre et se contrôle de lui- même. Il n’y a pas d’autorité suprême qui les désignerait. La science se gère elle-même en libre marché. Et depuis trois siècles cela fonctionne, avec d’inévitables ratés, mais globalement de façon exceptionnelle.

En revanche, lorsqu’une autorité religieuse ou politique prétend contrôler le mouvement, il s’enraye. Ce fut le cas jadis des affaires Galilée et Darwin, plus près de nous des régimes communistes et fascistes. Il n’y a pas de science gouvernée par le pouvoir politique qui tienne. Car il n’y a qu’une seule science, planétaire par son étendue et internationale par son recrutement. Si bien qu’aucune main d’œuvre n’est aussi mobile. Une bonne université se décèle au fait que la majorité des professeurs sont issus d’ailleurs, de pays lointains, de cultures différentes.

Il existe donc pour chaque discipline ce que l’on appelle un collège invisible, dispersé sur la surface de la Terre, constitué par un réseau de communication pour lequel la Toile fut créée. C’est lui qui gouverne de fait le progrès de sa discipline. Un scientifique découvre à une certaine époque d’une carrière méritante qu’il a été coopté dans cette assemblée virtuelle, puis au fil des années qu’il la quitte à la mesure de l’extinction naturelle de sa créativité. Cette activité est tout à fait bénévole. Le paradoxe veut que ce soient seuls les éditeurs qui en bénéficient seulement, à hauteur de 23 milliards d’euros de chiffre d’affaire. Néanmoins le bénéfice pour les experts est incalculable. Plusieurs mois avant que certains résultats décisifs soient publiés, ils sont mis au courant et peuvent en bénéficier pour leur propre recherche.

Telle est la règle du jeu scientifique. L’intérêt de la Suisse est de se maintenir dans le collège invisible pour demeurer à la pointe de la recherche et de son application en technique et en économie. Cela ne se mérite qu’en occupant des sièges dans le collège invisible, récompense du travail de l’expert et avantage à lui réservé.

La recherche scientifique d’un pays ne dépend pas d’abord de ses locaux et de ses équipements, de son budget et de son administration, mais de la qualité des chercheurs. Pour optimiser celle-ci, il faut les recruter dans le monde entier et leur assurer de bonnes conditions de travail pour les garder. Dès lors la Suisse doit maintenir son recrutement international : ne pas freiner l’accès aux étudiants étrangers par une hausse des frais d’inscription , fournir des permis de séjour C aux meilleurs diplômés pour les stabiliser dans le pays, maintenir en activité les meilleurs chercheurs (Prix Nobel) bien au-delà de 65 ans, ne pas lésiner sur les budgets, laisser le maximum d’autonomie aux universités.

 

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