Une chronique politique sans parti pris

Il n’y a pas de pompier pour la maison qui brûle

 

 

On doit douter de leur capacité à gouverner, mais on ne peut qu’admirer l’art rhétorique des politiciens français. Jacques Chirac a inventé la formule : « La maison brûle et nous regardons ailleurs. » Emmanuel Macron vient de la reprendre pour adresser une remontrance au président Bolsonaro. La forêt amazonienne est mise à feu pour dégager des surfaces cultivables. Le soja récolté viendra nourrir des vaches suisses qui fourniront des côtes, rassies sur l’os, aux « grillétariens » encensés par Migros, prétendue mutuelle de consommateurs. Et la boucle est bouclée. S’il n’y avait pas des pays riches dévoreurs de viande rouge, il n’y aurait pas des pays aspirant au développement qui bradent leurs ressources naturelles.

 

Le problème est planétaire, la forêt amazonienne concerne tous les êtres humains qui inspirent l’oxygène qu’elle produit et qui bénéficient du puits de carbone constitué par ses arbres. Face au problème déjà lancinant du réchauffement climatique, la politique du Brésil est une provocation inouïe. Elle est décidée par un de ces politiciens populistes dont la planète est encombrée : Trump, Johnston, Poutine, Salviani, Orban, Le Pen, Bolsonaro et pourquoi pas Blocher. Ils adressent partout le même message d’égoïsme nationaliste forcené : le pays peut tirer tout seul son épingle du jeu, America first, pour une Suisse indépendante, vive la France, le Brésil n’est plus une colonie, la Hongrie doit préserver ses racines chrétiennes, l’Italie n’est pas un camp de réfugiés, l’Angleterre est une île.

 

La réalité est toute différente. Il n’y a qu’une seule planète et qu’une seule atmosphère, une forêt et un champ cultivable, un océan et un glacier pour une seule espèce humaine. Ce sont les précédents accidents climatiques qui ont forgé son génome. C’est en survivant à des glaciations, à des sécheresses à des montées de l’Océan que le genre humain a acquis cette capacité inouïe de développer des techniques qui assurent sa survie. Or, ces techniques sont devenues folles, elles menacent le chef d’œuvre qu’elles ont créé, l’homme.

 

Cependant, à chaque développement technique, il a fallu inventer des institutions pour le gérer. On est passé du groupe nomade de chasseurs-cueilleurs, au village d’éleveurs-cultivateur, aux royaumes gestionnaires de l’eau et de la terre, aux empires industriels, au règne des multinationales. L’incendie brésilien est le signal d’un déficit : un pouvoir planétaire est devenu indispensable, même si l’on n’en a pas envie.

 

Un véritable pouvoir planétaire. Pas le lieu de discussions entre gens bien élevés, veston cravate, dans des stations balnéaires ou alpestres, qui ne mènent à rien que des discours de circonstance et des courbettes appliquées. Un tel pouvoir pourrait imposer au Brésil l’arrêt des feux déclenchés volontairement. Il pourrait par la force armée, y changer l’exercice du pouvoir actuel. Il pourrait imposer aux pays développés, dont la Suisse, une réduction immédiate de l’empreinte carbone. Il pourrait réguler le flux des transports aériens et maritimes. Il pourrait contingenter la production de voitures à essence. Il pourrait imposer la construction de centrales solaires. Il pourrait passer outre aux recours pitoyables contre les éoliennes. Il pourrait imposer un moratoire sur les naissances.

 

Il pourrait, il pourrait, mais il n’en fera rien. La conjoncture politique planétaire est telle que de grandes puissances jamais ne courberont la tête. Et les petites en feront aussi qu’à leur tête. Toutes poursuivront une politique de plus en plus obstinée de saccage des ressources. Il faudra arriver au bout d’une impasse faite de pénuries, de conflits armés, d’exodes massifs, de crise culturelle. Alors il restera toujours quelques groupes d’humains pour avoir compris la leçon et recommencer l’aventure sur une autre base. Il faudra attendre qu’il soit trop tard pour agir dans la précipitation. La maison brûle et il n’y pas de pompiers. On vivra donc sous la tente. Pour ceux qui auront les moyens de l’ériger. La Suisse pourrait commencer à organiser son campement.

 

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