Ils ne fleurissent que trop les blogs qui prônent de boycotter la Fête des Vignerons, car celle-ci célèbrerait une substance toxique : le vin. Tout d’abord il s’agit de fêter un métier, pas son produit. Ensuite cette honorable corporation n’a pas à être vilipendée parce qu’elle produirait un poison. Cette thèse, très courante, ne résiste pas aux faits : en pratique les pays producteurs et consommateurs de vin ou d’autres boissons alcooliques n’en souffrent pas dans leur espérance de vie. Bien au contraire, les pays abstinents n’en tirent aucun bénéfice.
Comparons les données connues. Parmi les dix pays champions mondiaux de l’espérance de vie, quatre sont producteurs et gros consommateurs de vin, dans l’ordre : en deuxième position mondiale après le Japon, la Suisse avec 11,5 l. équivalent d’alcool pur ; en 5, l’Espagne avec 10 l. ; en 7, l’Italie avec 7.5 l. ; en 9, la France avec 10, 7 l. Pour ces pays, l’espérance de vie à la naissance se situe entre 82 et 83 ans.
Très loin dans le classement il y a : en position 59, l’Algérie avec 0.9 l. ; en 64, la Tunisie avec 1.9 l. ; en 79 la championne de la prohibition, l’Arabie Saoudite avec 0.2 l. Leur espérance de vie se situe aux alentours de 75 ans. En d’autres mots, les pays consommateurs de vin jouissent de 7 années d’espérance de vie supplémentaire.
Cela ne signifie pas que le vin en soi soit un facteur de santé, mais qu’il nuirait bien moins qu’on le prétend. Cela ne signifie pas qu’il ne se trouve pas des alcooliques, qui meurent prématurément, mais qu’en moyenne pour un pays la consommation de vin est un facteur positif. Bien entendu, il y a d’autres facteurs comme la qualité du système de soin. Mais le bilan global est clair. Cela signifie que la définition du vin n’est pas l’ivresse. Cela signifie qu’une éducation au goût est importante pour la santé physique et mentale. Peut-être la pratique du plaisir stimule le cerveau et bénéficie à tout le corps. L’usage du vin n’est pas l’abus et n’est pas en soi critiquable. La vertu de tempérance n’est donc pas réductrice à l’abstinence.
Dès lors, les abstentionnistes de la Fête des Vignerons cèdent à une illusion courante dans une foule de domaine : l’abstention de tout serait une vertu. Il faudrait se passer de sel, de sucre, de viande. Il vaut même mieux s’abstenir de relations sexuelles. Tout plaisir est suspect et se paie par des maladies, des malédictions, une mort prématurée. En se privant on avance en vertu, qu’elle soit religieuse ou laïque. En se sacrifiant, on se réserve une place de choix au paradis, réel ou fantasmé. Il faut résister aux tentations, à toutes les tentations, qui sont autant de pièges du diable.
Selon cette logique délirante, il faudrait alors éviter les activités en montagne car elles peuvent être dangereuses, la circulation automobile car il y a des accidents, la prise de médicament car ils ont des effets secondaires. En s’abstenant de vivre pleinement, en se mortifiant on se persuade que l’on vivra plus longtemps tant on a peur de la mort. On anticipe la fin de la vie en réduisant celle-ci à une corvée ennuyeuse.
L’abstinence est aussi une des thèses favorites de politiciens extrémistes et de journalistes envieux, qui exigent à bon compte une vertu extravagante. On en a eu des exemples impressionnants avec l’affaire de Rugy en France, Maudet et Barazzone en Suisse. Si un politicien, sans violer la légalité, dans le cadre de ses fonctions, est soupçonnable de se faire plaisir, il est indigne d’exercer le pouvoir. Il doit démissionner vite fait bien fait et renoncer à tout avenir politique. Les homards, le champagne, le Bordeaux sont réservés à leurs légitimes consommateurs : les riches. Les voyages dispendieux à l’étranger sont le privilège des chefs d’entreprises.
Dans un tout autre domaine, les prêtres catholiques s’efforcent de donner l’exemple d’une vertu extrême en se condamnant à une continence perpétuelle. Mais par un retour de bâton significatif, certains ont des concubines et des enfants cachés, d’autres sont à la fois homosexuels pratiquants et homophobes en parole, d’autres sont poussés à des crimes comme la pédophilie ou le viol de religieuses. Même si la majorité du clergé n’y sombre pas, cette déconfiture de quelques-uns dit à quel point l’excès d’une supposée vertu peut mener à une réelle débauche,
Tout compte fait, dans la réalité de la vie de tous les jours, l’abstinence de quoi que ce soit n’est pas une vertu, elle constitue le risque du vice. On se prémunit de celui-ci en pratiquant la tempérance, qui est l’exigeante vertu du juste milieu : user de tous les plaisirs sans en abuser, vivre sans exagérer, maîtriser ses pulsions. Et si l’on n’est vraiment pas capable de se contrôler, cela ne justifie en rien que l’on fasse la morale aux autres.