Trottinant avec prudence sur un terrain miné, Cesla Amarelle évoque l’opportunité de cours de mathématiques strictement réservés aux filles, pour les encourager à faire des études dans les branches techniques et scientifiques, où elles sont actuellement en minorité. Si l’objectif va de soi, la méthode est ambigüe. Faut-il donner davantage ces cours aux filles parce qu’elles seraient moins aptes à ces études que les garçons ? Certainement pas dans l’esprit de la Conseillère d’Etat. Depuis des décennies, elle se bat pour réaliser l’égalité des sexes : dans cette perspective, ce serait paradoxalement un pas en arrière
D’ailleurs, il y a déjà plus d’étudiantes que d’étudiants. Le taux de femmes dans les études supérieures a passé de 38% en 1990 à 50,4% en 2015. Dans certains bastions masculins, la part d’étudiantes a fortement progressé, passant notamment pour l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 18% en 2000 à 29% en 2014. L’Ecole polytechnique de Zurich (EPFZ) a même atteint un taux record de nouvelles étudiantes, avec 32,5%. On est loin de la situation voici un demi-siècle où les étudiantes ingénieurs se comptaient sur les doigts de la main. La transition s’opère spontanément.
Faut-il l’accélérer ? Et pourquoi ? Bien que le déséquilibre inverse existe en médecine où les filles sont bien plus nombreuses que les garçons, on ne propose pas de cours de biologie réservés aux mâles pour les attirer en médecine. Pourquoi réclamer un équilibre des sexes dans chaque faculté ? Pourquoi ne pas admettre que le sexe prédispose à certains métiers. La médecine exige des rapports humains qui sont moins présents en technique. Du moins dans l’image qu’un jeune peut s’en faire.
Par ailleurs, certaines catastrophes techniques donnent l’impression que cette discipline est davantage gouvernée par le mirage du gain que par le respect de la vie. On commence même à découvrir que l’informatique, bien qu’elle ne mette pas directement en danger des vies humaines, a cependant de lourds inconvénients. En résumé, les filles ont, avec quelques bonnes raisons, manifestement moins envie de devenir ingénieur que médecin.
En supposant même qu’il faille absolument les appâter, est ce que des cours de mathématiques supplémentaires y réussiront ? Cela ressemble à une carte forcée. Puisque les filles sont moins intéressées aux mathématiques, on va leur en imposer davantage. Et quelles matières va-t-on enseigner ? Qu’est-ce qui ferait apparaître l’intérêt du métier d’ingénieur, sinon des cours de technique dès le gymnase ?
Quels cours de mathématiques prédisposent vraiment à réussir sa première année de polytechnique ? La réponse est loin d’être évidente. Les cours dispensés lors des deux dernières années d’enseignement obligatoire sont inspirés par le ludique, la mode intellectuelle, les manies des différents cantons. Par exemple dans le canton de Vaud on enseigne la cryptographie, la détermination des décimales du nombre pi, le pavage, mais pas vraiment la trigonométrie. C’est intéressant mais pas immédiatement utile.
Or, en première année de polytechnique, tous les étudiants sont censés disposer du même bagage initial. Ce qui n’est pas le cas. Dès lors le problème réel n’est pas la tendance des filles à refuser de devenir ingénieures, mais la situation de tous les étudiants sans discrimination de sexe. On aimerait savoir quel est le taux de réussite des étudiants suisses comparés à leurs camarades étrangers, ainsi que le succès de certains cantons par rapport à d’autres : comme cette donnée statistique n’est pas disponible, il semble qu’elle soit révélatrice de différences gênantes entre cantons et d’un niveau général des gymnases suisses qui serait inadéquat.
Dès lors, on aboutit à une conclusion évidente : s’il faut un cours de rattrapage pour accéder aux Polys avec une chance de réussir, il doit être accessible à tous les candidats pour les Ecoles polytechniques, le sexe n’ayant rien à voir. Les choses étant ce qu’elles sont, il faudrait peut-être imposer à tous les entrants un examen pour évaluer leur niveau et prévoir une année de préparation pour tous ceux qui en ont besoin.
Pour aller au fond du problème, on peut estimer que le réel désamour des filles pour la technique provient du milieu, de la famille, de l’école obligatoire, de la presse, des réseaux sociaux. C’est dans l’unique mesure où cet environnement a rapidement changé que davantage de filles se sont inscrites à l’EPFL. C’est un problème de civilisation. Plus il y a de femmes dans les exécutifs, dans la direction des entreprises, dans les conseils d’administration, plus leurs filles seront tentées de suivre la même carrière. Ajoutons-y des crèches à des prix abordables, des congés parentaux, des allocations familiales, une égalité rigoureuse des salaires et l’on aura alors fait tout ce qu’il fallait. Plus et mieux qu’un cours supplémentaire de mathématiques, un emplâtre sur une jambe de bois.