Une chronique politique sans parti pris

Les homards de monsieur de Rugy

 

 

Entendu en prenant le café ce matin : deux Vaudois discutent du dernier scandale dont ils ont eu connaissance ; à Berne, on servirait du homard aux politiciens. Rassurons-les tout de suite, ils sont victimes d’une erreur d’interprétation, d’une nouvelle écoutée d’une oreille distraite. Ce scandale épouvantable s’est produit à Paris, ville de débauche, et pas à Berne, siège de la vertu. A ma connaissance, aucun restaurant de la ville fédérale ne sert du homard. Je me demande même si le mot homard existe dans la langue vernaculaire locale. En revanche, on sert à Berne une cuisine à la fois coûteuse et pas goûteuse : l’émincé de veau à la zurichoise, le Wienerschnitzel, le jambon aux röstis. Les parlementaires se repaissent donc, mais ils ne poussent pas le vice jusqu’à manger. Le seul mot de gastronomie serait obscène. Le devoir passe avant le plaisir.

 

Tandis qu’à Paris, le président de l’Assemblée nationale, devenu depuis ministre de l’écologie, s’est livré à une provocation. Pour quelques repas de fonction, il  a invité des convives, auxquels ont été servi du homard. Cette nouvelle stupéfiante a secoué la Ville Lumière jusque dans ses fondements et a failli entraîner la démission du ministre. On ne lui reprochait rien dans son travail actuel, mais on avait déterré un vice bien caché : le homard. Or, à Paris il existe quelques dizaines de restaurants qui servent du homard, parfois démocratique avec des frites. Il ne faut pas se demander pourquoi ce qui est autorisé aux citoyens devrait être refusé à la table du second personnage de la République dans l’exercice de ses fonctions de représentation. C’est que tout est symbolique : il aurait dû se souvenir du destin de la reine Marie-Antoinette qui avoua préférer la brioche au pain. Ces faux pas ne pardonnent pas à Paris. Elle fut décapitée. Il a failli perdre sa place.

Dès lors la question se poserait-elle de déterminer par voie d’ordonnance les plats autorisés aux invités de la République française ? Eliminons tout de suite d’autres mets symboliques : le foie gras (on torture les oies) et les huitres (on mange des animaux vivants). Le populaire steak frite est condamnable par suite des conditions d’abattage des bœufs, de leur émission de méthane (empreinte carbone), de la quantité d’eau qu’ils absorbent (la sécheresse menace). Ne parlons même pas de gibier. Que reste-t-il ? Le hachis Parmentier, les harengs saurs, la soupe aux choux, voire la boite de sardines. Et encore ! Les gilets jaunes se plaignaient de n’avoir plus comme pitance que des pâtes industrielles. C’est peut-être une issue. Lors de la prochaine invitation à l’Elysée de la reine d’Angleterre, il faudrait lui servir un spaghetti bolognais. Vexée de ce manque de considération pour son rang, elle sera en même temps impressionnée par la neuve vertu des Français, renonçant à leur fâcheuse tendance de se faire plaisir à table.

 

Reste à découvrir par quel truchement ces homards furent dévoilés à la presse. Personne n’a fait le rapprochement avec le limogeage de la directrice de cabinet, Nicole Klein. Or, elle seule était en possession de tous ces détails. A-t-elle voulu se venger de monsieur de Rugy ? Celui-ci aurait-il dédaigné ses avances ? Ou plus banalement oublié de l’inviter à sa table ? Cherchez la femme !

 

Au crime des homards, on a rajouté d’autres reproches : on prétend que monsieur de Rugy a offert à sa femme un sèche-cheveu plaqué or. C’est bien dans l’esprit du temps : on se contente de toc alors que les rois de France donnaient des ustensiles en or massif. On a extrait des caves de l’hôtel de Lassay un Bordeaux 2004 estimé à 550 euros au lieu de le mettre en vente pour alléger le budget de l’Etat. L’appartement de fonction a été rénové pour 63 000 euros. Etc. En somme le homard, à lui tout seul, ne pesait pas bien lourd. La presse a mitonné un mille-feuille de reproches mineurs pour que tous ensemble ils pèsent plus. Le but est évidemment d’affaiblir la Macronie en dévissant le second personnage du gouvernement. Aussi bien la droite classique que la gauche traditionnelle n’ont pas supporté d’être écartées du pouvoir

 

Revenant au point de départ on peut affirmer que cette comédie endiablée ne peut se jouer qu’à Paris, qu’on en fera un film, qu’on en parlera longtemps encore pour éviter d’évoquer les vrais problèmes. A Berne cela n’arrivera jamais, car on souhaite ardemment  que rien ne s’y passe.

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