Tels sont les refrains de toute politique populiste, axée sur le simplisme de solutions inapplicables à des problèmes patents. Le souverain populaire s’irrite de l’impuissance des exécutifs à tout résoudre. Pour répondre à cette attente, il n’y a qu’à, faut qu’on, il n’y a qu’à pas, il suffit.
L’UDC a fait distribuer en Suisse romande une « Edition spéciale » à plus d’un million d’exemplaires, soit un toutes boites. La proximité des élections fédérales suscite une crainte du premier parti de Suisse, qui risque de perdre des sièges faute de s’être engagé dans le vaste débat de la transition climatique. Le peuple (si volatile !) s’apprête à déplacer ses suffrages vers les deux partis suisses qui affichent la couleur verte. Or, le populisme, fondé essentiellement sur la xénophobie, est dans tous les pays viscéralement opposés à entrer dans le débat du climat, pour une raison que l’on va découvrir.
La lecture de ce pamphlet de 8 pages est tout à fait éclairante. Le thème sous-jacent reste le refus de l’immigration. « Un million d’immigrants entraine une consommation de 59 milliards de litres d’eau ». La transition climatique est assimilée à une conséquence de la politique migratoire, imposée par l’ONU, acceptée avec l’UE. Or, il y a du vrai dans cette considération insidieuse. C’est l’évidence : s’il n’y avait pas de migrants, ils ne boiraient, ni ne se laveraient, ni ne tireraient la chasse. Mais cela n’a strictement rien à voir avec le véritable facteur, la production de CO2, la montée de la température de la planète et ses conséquences.
Pour agiter le peuple avant de s’en servir, il faut certes lui mentir, mais pas n’importe comment. Il faut ruser avec la vérité, en dévoiler une facette et occulter les autres. En fait, il y a même plus de deux millions d’immigrants en Suisse. En revanche, si le pays ne comptait plus que 20% de sa population actuelle, son empreinte carbone, la seul chose importante, serait nulle puisque l’énergie des barrages suffirait. Mais avec ce genre de « si », on pourrait mettre Paris dans une bouteille. Le problème n’est de faire fonctionner la Suisse comme si sa population n’était pas ce qu’elle est et comme si elle pouvait instantanément se passer des immigrants. Car rien moins qu’un quart des médecins ont été formés à l’étranger et 38% du personnel infirmier n’est pas Suisse. Que dire des chercheurs, des enseignants, des ingénieurs, des ouvriers du bâtiment ? Ces habitants louent forcément un quart des logements, achètent le quart des produits de consommation. Nyaka les jeter tous à la porte ? Sans conséquences ?
Le véritable problème est de faire fonctionner le pays tel qu’il est, dans la planète telle qu’elle est. Or le réchauffement climatique est une réalité, attestée par des mesures. Ce n’est donc pas une opinion de la gauche comme l’insinue « Edition spéciale », mais un outil pour celle-ci, fondé sur l’évidence. Selon la contribution révélatrice de Roger Köppel dans ce pamphlet, la gauche sème la panique climatique « pour installer un régime de contrainte et détruire les valeurs libérales fondamentales. » Et ce n’est pas tout à fait faux.
Dans le monde entier, la gauche classique, socialiste, anticapitaliste est en porte-à-faux depuis l’effondrement du communisme. Malgré tous ses défauts, malgré ses retombées inquiétantes, le capitalisme a fonctionné depuis trois siècles pour améliorer le sort des hommes en leur donnant à manger, en les soignant, en les instruisant, tout en négligeant les insolvables. Dès lors, la gauche est à cours de programme économique crédible. Elle est viscéralement étatique, fonctionnarisée, centralisatrice, antilibérale, égalisatrice. Or, ce ne sont plus des thèmes très porteurs ; l’Etat Providence est reconnu comme un mythe ; il n’y a pas de santé, de pension, de transport, d’éducation qui seraient gratuits ; il y a toujours quelqu’un qui paie. Par le biais de la TVA en particulier, de la redevance TV, de l’assurance maladie obligatoire, tout le monde paie de plus en plus et s’en irrite. L’écologie est venue à point comme idéologie de substitution pour la gauche, comme pneu de secours politique.
Par raison de symétrie, l’idéologie populiste se dédouane en stigmatisant cette nouvelle idéologie de gauche. Ainsi le pamphlet se garde bien de parler de la production de CO2, de l’effet de serre, de la fonte des glaciers, des sécheresses, des incendies, des tornades, de la montée des océans. Il occupe le terrain en parlant des « vrais problèmes : exploitation dévastatrice des océans, pollution par le plastic, surpopulation. »
Il y aurait donc de quoi rédiger une thèse de doctorat sur les seules huit pages de l’« Edition spéciale ». Non seulement sur la propagande populiste, mais sur les méthodes classiques de manipulation de l’électorat. Il y a beaucoup de talent, voire de génie, dans ce genre de textes. Déjà dans la Grèce de Socrate, des sophistes défendaient n’importe quelle thèse par leur maîtrise des ressources du raisonnement, vrai ou faux, peu importe.
Cette rhétorique adressée à tous les ménages suisses rapportera des voix. Isufi de rassembler les mécontents de tous bords, les éclopés de la mondialisation, le paysannat en péril, les perdants de l’enseignement, les classes moyennes surtaxées, les chrétiens intégristes terrorisés par la montée de l’Islam. L’amalgame de ces peurs constitue le programme du premier parti de Suisse. Nyaka : reconstruire des centrales nucléaires, n’acheter que des produits agricoles suisses, défendre la démocratie directe, le fédéralisme, la neutralité armée, rompre avec l’ONU et l’UE, refuser les requérants d’asile. Yakapa : renchérir le prix des comburants, interdire le chauffage au mazout, installer des éoliennes, taxer les voyages en avion. Isufi de s’engager « pour une Suisse fondée sur des valeurs chrétiennes », dont sait depuis la prédication de Jésus de Nazareth combien elles sont contraires à l’accueil des étrangers.
Jadis les nations étaient gouvernées par des monarques absolus. Certains prenaient leurs décisions après mûre réflexion. D’autres étaient manipulés par leurs courtisans qui défendaient surtout leurs privilèges. « Edition spéciale » travaille dans le même registre : attirer les suffrages du peuple souverain en flattant ses peurs, ses illusions, ses dénis de réalité. C’est le moyen politique le plus simple et le plus efficace : prendre les gens pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils devraient être.