Une chronique politique sans parti pris

Retour à Calvin

 

Au XVIe siècle quelques réformateurs surgirent de la chrétienté pour affirmer que l’Eglise de l’époque, compromise avec le pouvoir politique et financier, devait revenir aux sources du christianisme. Ils n’ont pas hésité à risquer leur vie dans cette mission. Ce sont de pareils héros qu’il faudrait pour gérer les bouleversements contemporains : le défi climatique, la mondialisation, la révolution numérique, la montée des populismes.

A l’époque de Calvin, l’exploitation des ressources naturelles se limitait à ce qui est renouvelable, le produit d’une agriculture et d’un élevage sans engrais ou pesticides chimiques ainsi qu’une exploitation du bois ou de l’énergie hydraulique et éolienne comme seules sources d’énergie. C’est un système intrinsèquement stable, à côté duquel le nôtre apparaît comme dispendieux, irréfléchi et immoral. Notre prospérité insolente est le fruit de la destruction de ressources non renouvelables, comme les combustibles fossiles, l’eau des nappes phréatiques, la composition de l’atmosphère, les terres arables, la biodiversité. Par la force des choses, les contemporains de Calvin vivaient au seul détriment de l’énergie solaire.

Mais Calvin, né en 1509, était encore imprégné du souvenir de la catastrophe écologique, économique, démographique et politique du siècle précédent : la famine de 1315, la Guerre de Cent Ans en 1337 et la Peste noire en 1347. La population européenne s’effondra parce qu’elle avait dépassé les limites de ce que les techniques élémentaires de l’époque permettaient de supporter. Certes les ressources n’étaient pas surexploitées comme elles le sont maintenant, mais la démographie avait dépassé les bornes de ce que le système technique de l’époque pouvait supporter. En 1320, on estime la population de la France à 20 millions d’habitants, en 1453 elle est tombée à 16 millions. Les mécanismes naturels de contrôle de la population, guerre famine et peste s’étaient chargés de contrôler les excès démographiques.

Or, la France est aujourd’hui à 65 millions, quatre fois celle de l’époque de Calvin. De même, depuis 1900, l’effectif de la population en Suisse a plus que doublé ; alors qu’il atteignait 3,3 millions, aujourd’hui la Suisse atteint 8,5 millions d’habitants.

Bien avant tout le monde, Jean Calvin avait compris que le gaspillage des ressources, l’ostentation des riches, les disparités sociales ne sont pas admissibles, car elles prétéritent les équilibres naturels, poussent à la surconsommation, obèrent l’héritage naturel que nous devons aux générations futures. Et cette gestion à la fois écologique et économique de la création présuppose un effort spirituel. L’individu vorace et égoïste doit apprendre à économiser et investir, à prévoir plutôt qu’à vivre dans le temps présent. Le riche doit se préoccuper du pauvre.

Face à ce défi urgent en notre siècle, quel est le programme politique raisonnable ? Economiser l’énergie, les minerais, les terres arables, l’eau, l’air avant que l’on n’y soit contraint par des catastrophes, qui seront aussi imprévues que prévisibles. Quel chemin prenons-nous au niveau fédéral, en saluant les initiatives cantonales parfois plus éclairées ? Un moyen universel, routinier, facile est la taxe CO2, présente et à venir. Elle prétend réguler notre surconsommation de combustibles fossiles par le seul effet du marché. Mais elle ne touche pas à l’énergie grise incluse dans les produits de consommation courante qui sont importés. Elle pèse immédiatement sur le pouvoir d’achat des plus démunis. La crise des gilets jaunes en est une illustration éclatante.

En revanche les mesures concrètes d’économie d’énergie sont repoussées par le gouvernement, l’administration et le parlement. Ainsi en est-il des propositions de passer des ampoules à incandescence aux LED, d’interdire la distribution d’eau potable en bouteilles, de ne plus vendre de l’électroménager avec veilleuses, de renoncer aux sacs plastiques et aux emballages superflus, de taxer le kérosène des avions et les billets de transport aérien, d’interdire les canons à neige. Tout cela est possible, tout de suite, sans sacrifier inutilement le confort des consommateurs. Le milieu scientifique suisse a proposé des plans d’économies, qui réduiraient la Suisse de 6kW par habitant au niveau de 3 kW, c’est-à-dire le niveau de 1960. Cela n’est possible que par une stratégie systématique d’économies qui ont été décrites et chiffrées voici plus d’une décennie.

Ce programme est impopulaire en politique, par l’effet conjugué de l’ignorance, de la démagogie, de la négligence et de la complaisance qui sont autant de déficiences morales. Nous n’en sortirons pas sans la révolution spirituelle à laquelle Jean Calvin nous appelle depuis cinq siècles. La transition climatique incite d’abord à la conversion des esprits et le reste suivra. Mais Calvin disposait d’un levier aujourd’hui disparu : l’extension de l’appartenance religieuse. Il a pu au nom de la transcendance prêcher l’austérité. Les Eglises d’aujourd’hui ont perdu leur autorité morale.

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