Une chronique politique sans parti pris

Les murs de l’impuissance

 

Le Bangladesh est extrêmement peuplé : plus de 150 millions d’habitants. Sa densité est l’une des plus importantes au monde. Pourtant le pays pourrait perdre jusqu’à 20% de son territoire d’ici 2050. En cause, la montée du niveau de la mer. L’eau salée s’immisce et pénètre dans les terres. On retrouve des taux élevés de sel jusqu’à 100 km de la côte. D’ici 2050, les terres agricoles vont diminuer, à cause de la salinité. Certaines terres seront même submergées. En 1970, un cyclone a fait 500 000 morts. En 1991, un tsunami a tué quelque 138 000 personnes.

Toutes les conditions sont réunies pour faire de ce pays un foyer d’émigration dans un futur proche. Or, les pays voisins surpeuplés ne l’accepteront pas et les Bangladais tenteront de se tourner vers l’Europe, havre de paix et de prospérité. Bien évidemment, ils ne seront pas les bienvenus sinon à dose homéopathiques. Soumise aussi à la pression africaine, il ne restera à l’Europe d’autre tentation que de se barricader.

On connaît les plus célèbres : le mur entre Israël et la Cisjordanie, 463 km contre le terrorisme ; ceux de Ceuta et Melilla avec le Maroc, doublés d’un mur sur le territoire marocain ; le plus long est entre les Etats-Unis et le Mexique soit 1 100 km que Trump se propose de compléter ; celui de 155 km entre la Hongrie et la Serbie. L’étendue planétaire du phénomène est telle que 70 murs s’étendent sur 40 000 kilomètres, soit l’équivalent de la circonférence de la Terre.

Lorsque le Mur de Berlin s’est effondré en 1989, on a espéré que c’était la dernière verrue politique. Comme ce symbole du communisme a déconsidéré celui-ci et a entraîné sa chute, on a cru que la construction d’une frontière fermée constituait un aveu d’impuissance, auquel aucun gouvernement ne succomberait plus. Ce mur, équivalent de l’enceinte d’une prison, avait pour objectif inavouable d’empêcher les prétendument chanceux habitants de la république communiste d’Allemagne de l’Est de fuir leur prétendu bonheur. Il en reste un de cette espèce, la zone démilitarisée entre les deux Corées. C’est la dernière frontière de type idéologique, qui empêche les gens de sortir.

Dans le futur, les murs auront la fonction inverse, empêcher d’entrer. Ce sont les remparts que les pays riches érigent contre l’immigration des pauvres. Le plus long de ces remparts est le fossé constitué par la Méditerranée. Les migrants, qui n’ont pas accès à un passage régulier faute de visas, sont obligés de risquer leur vie sur des embarcations précaires. Tous les autres remparts orientés vers le Sud jouent le même rôle.

Il y a de lointains précédents historiques. L’empire Romain a construit le mur d’Hadrien pour se protéger de l’Ecosse. La Chine a construit la Grande Muraille de 6 259 km. Cela n’a pas empêché ces deux empires de s’effondrer. Construire un mur est un aveu d’impuissance politique.

Ceci ne signifie pas qu’il existerait des solutions alternatives. La mauvaise volonté réciproque entre Israéliens et Palestiniens empêche la résolution du conflit, qui les divisera très longtemps. De même un milliard d’Africains ne parviennent pas à construire des Etats de droit, stables, sans corruption généralisée, sans guerres civiles. Même si ce continent regorge de ressources, le peuplement actuel est et sera pour longtemps incapable de les exploiter.

L’attrait de l’Europe est irrésistible, non seulement pour des réfugiés politiques fuyant la violence, mais aussi et surtout pour des migrants économiques. Il s’agit d’une énorme bombe à retardement, celle d’une invasion massive, contre laquelle aucun mur ni aucune loi ne protégera. Le pape François a résumé la situation dans une phrase prophétique : celui, qui s’enferme derrière des murs, construit sa prison.

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