Une chronique politique sans parti pris

Pourquoi la France n’est pas la Suisse

Le président Macron est régulièrement confronté avec une des revendications majeures des gilets jaunes : le référendum d’initiative citoyenne, ce que l’on appelle en Suisse d’initiative populaire. Chaque fois il renâcle, ne dit ni oui, ni non, tergiverse, l’accepte pourvu que ce soit entouré de multiples barrières. Quand on cite l’exemple de la Suisse où cela fonctionne, il se braque : c’est bon pour un petit pays, nous n’avons pas la même histoire, il faut respecter la démocratie représentative. Si on insiste, il sort son argument majeur. « La Suisse ne marche pas aussi bien qu’on le pense »
Marie-Hélène Miauton dans un article du Temps a fait bon marché de cette assertion patriote. C’est le contraire : la Suisse marche mieux que la France si on s’en réfère aux enquêtes d’opinion. Au palmarès des pays les moins corrompus, la Suisse est en troisième position et la France en 23. En termes de productivité, la Suisse est en 4 et la France en 23. La dette est de 30% du PIB en Suisse et à 97% pour la France. En Suisse, le PIB par habitant est de 81 276 $ et le salaire mensuel moyen de 7 765 $, le plus élevé du monde. En France respectivement de 44 099$ et de 3 976 $, soit du simple au double. La France a un taux de chômage, qui est plus du double de celui de la Suisse. Tous les matins 300 000 frontaliers franchissent la frontière dans un seul sens. Pourquoi ?
Les maximes fondatrices de la Suisse sont : la démocratie directe, le peuple a tout à dire ; la concordance, l’exécutif doit inclure tous les partis ; la neutralité, la Suisse n’intervient pas dans les affaires des autres ; la milice, pas de politicien de métier, car l’élu doit servir et non se servir. Chacun de ces piliers est indispensable à l’équilibre des autres. Chacun exprime une orientation : respect des plus faibles ; pacification des esprits à l’interne ; refus des querelles externes ; promotion de l’engagement bénévole.
Parmi ces quatre mythes, s’il fallait choisir l’origine primordiale de l’exception, ce serait la démocratie directe. Plus républicain que la Suisse n’existe pas. Le mode de fonctionnement de la Confédération est unique en son genre. Des décisions ont beau être échafaudées par le Conseil fédéral, débattues et arrêtées par les deux Chambres du Parlement, elles peuvent ou même doivent être soumises au peuple, qui possède le droit de les refuser et qui ne s’en prive pas.
Un tel système n’a pas son pareil à l’étranger. Le peuple suisse est « le souverain ». Il n’y a jamais eu de roi en Suisse, puisque le peuple en tient lieu. Cette monarchie collective a ses grandeurs, mais bien entendu ses servitudes. Le roi populaire n’est pas d’origine céleste, sauf quand il se l’imagine et qu’il divague. Cela le prend parfois. Car bien évidemment, le peuple n’a pas toujours raison. Mais, même alors, il a le dernier mot. Il sait donc qu’il doit assumer tous ses choix politiques et qu’il ne peut jamais se défausser sur une classe dirigeante.
En sens inverse, il ne sert à rien qu’un pouvoir, même élu, impose des décisions judicieuses à un peuple si celui-ci ne les comprend pas, ne les approuve pas et les sabote. C’est ce que ne comprennent pas la plupart des dirigeants du monde. Car même si un gouvernement n’est pas satisfait de son peuple, il ne peut le démissionner.
On peut créditer Emmanuel Macron de bonne foi. Il croit que la Suisse ne va pas si bien. Pourquoi ? Parce que s’il se rapportait aux chiffres mentionnés plus haut, il faudrait accepter le référendum d’initiative populaire en France, c’est-à-dire démunir et le président et le parlement d’une large partie de leurs pouvoirs. Il n’y a pas deux rois dans un pays : le peuple et le président. Le référendum d’initiative populaire devient à abdiquer la royauté élective. De cela il n’en est pas question. Mieux vaut encore une émeute à l’Arc de Triomphe qu’un bulletin dans les urnes.

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