Une chronique politique sans parti pris

Comment survivre en 2050?

Le défilé des jeunes dans les rues de Lausanne et l’arrivée d’une petite Suédoise à Davos ont un tout petit peu ébranlé l’inertie des plus augustes assemblées. Les notables ont souri, serré des mains, tapoté des joues, longuement débattu mais n’ont rien décidé de faire. Les jeunes, eux, vivront encore en 2050 lorsque les notables seront tous morts et ils ont légitimement peur de ce qui les attend parce qu’il leur faudra continuer à vivre. Ils savent deux choses que leurs ainés semblent ignorer. Ils connaissent par cœur deux mesures que nul ne peut réfuter :

1/La teneur en CO2 dans l’atmosphère a augmenté continuellement depuis le milieu du XIXe siècle : on est passée de 75 parties par million à 400. Auparavant sur quelques milliers d’années, cette teneur n’avait pas augmenté parce que la planète était dans un état d’équilibre.
2/La température moyenne à la surface du globe a été de 14,38 degrés en 2011, soit 0,51 degré au-dessus de la température moyenne au milieu du 20e siècle. Neuf des dix années les plus chaudes dans les annales météorologiques se sont produites depuis 2000. La seule année du 20e siècle figurant dans cette liste est 1998.

Malgré le catastrophisme parfois outré des médias, il est donc vraiment vrai que nous avons changé un des paramètres essentiels de la planète, sa capacité d’absorber l’énergie solaire. Et nous l’avons fait à force de brûler des combustibles, pétrole ou charbon, qui sont eux-mêmes de l’énergie solaire emmagasinée durant des millions d’années, respectivement du plancton et des végétaux fossilisés. Ces êtres vivants se nourrissaient de CO2 et rejetaient de l’oxygène. C’est pour cela que notre atmosphère est devenue respirable. Or, nous avons enclenché le mécanisme inverse, nous retournons vers une planète avec plus de CO2 et moins d’oxygène.
Les océans en dissolvent une partie, les plantes en absorbent aussi durant leur croissance. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, la révolution industrielle a changé la donne : l’activité humaine a injecté dans l’atmosphère une quantité supplémentaire de CO2. Nous avons mis en place un système industriel, qui dépasse les capacités de recyclage de la planète.
En mangeant notre capital d’énergie fossile, nous détruisons notre capital d’air respirable. Un jour, ces ressources non renouvelables, l’énergie et l’air, seront forcément épuisées. Nous vivons à crédit et un jour la facture nous sera présentée. Nous vivons au-dessus des moyens de la planète et un jour, ils manqueront. Quand, comment ? Personne n’en sait rien. Par la fonte des glaciers et la dilatation de l’eau, le niveau des océans va-t-il monter de deux centimètres ou de deux mètres ? Personne n’en sait rien. Et comme personne ne sait ce qui va arriver, on fait comme si rien n’arrivera jamais, quoi que nous fassions.
Auparavant, l’homme pouvait penser que, pour chaque nouvelle génération, la nature était telle que la génération précédente l’avait trouvée. Aujourd’hui, nous apprenons que notre technologie peut avoir des effets irréversibles sur la nature, par son ordre de grandeur et sa logique cumulative.
Dès lors nous commençons à douter du progrès. Son idée nous a soutenu depuis trois siècles, depuis que la révolution industrielle s’est emparée de la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle par la réalisation de la machine à vapeur. Pour la première fois, la chaleur se transformait en énergie mécanique. Cela permit d’extraire au jour des quantités de charbon qu’il avait fallu auparavant remonter à dos d’homme (ou plus exactement de femmes). Cette houille alimenta des hauts fourneaux qui produisirent des quantités inimaginables d’acier, auparavant un matériau rare, coûteux et de médiocre qualité.
La suite s’est enchainée de façon irrésistible. Avec de l’acier à profusion, on a pu construire des trains et des rails, voyager à la vitesse inouïe de cent kilomètres à l’heures, transporter des tonnes de marchandises. Puis des bateaux à vapeur qui traversent l’Atlantique en cinq jours au lieu des cinq semaines prises par Christophe Colomb Nous avons décollé de l’ère néolithique qui durait depuis dix mille ans, qui était fondée sur l’agriculture et l’élevage pour passer dans une ère industrielle où l’économie ne repose plus sur la production de nourriture, asservie à la Nature, mais sur la multiplication de biens ou de services souvent superflus.
C’est pour cela que nous gaspillons beaucoup d’énergie, pour passer un week-end à Barcelone, pour acheter un appareil numérique sophistiqué ou pour importer du marbre depuis la Chine. Nous en avons encore des réserves mais en passant, sans faire attention, nous avons détraqué le climat et c’est cela qui devient une menace mortelle. Ce n’est pas la seule, mais les autres lui sont liées ou sont aggravées par le changement de climat, par la modification de notre planète.
Les sociétés sont mortelles, mais les hommes ne veulent pas le savoir. Car la descendance, la parenté, la nation prolongent la vie de l’individu, qui se console de son inéluctable trépas par ce substitut d’immortalité. Le nom, l’hérédité, le patrimoine se transmettent de génération en génération, au point que personne ne meurt jamais tout à fait. Dès lors, la seule pensée que puisse disparaître toute la civilisation, dont l’être humain fit partie et qui le prolonge, est encore plus insupportable que la contemplation de son propre effacement.
Comme les sociétés se fondent sur leur prétention à durer, le renoncement à cette illusion est douloureux. Et lorsque les signes des temps apparaissent, ils sont ignorés jusqu’à précipiter l’effondrement même que l’on se refuse à considérer. Les sociétés meurent prématurément, parce qu’elles ne veulent pas savoir qu’elles sont mortelles. De ce fait, elles ne prennent pas les mesures évidentes qui pourraient les sauver.
Existe-t-il une bonne gouvernance qui évite un effondrement prématuré ? Quels sont les choix de société qu’il faut privilégier pour qu’elle atteigne une durée honorable ? Qu’est-ce qu’une culture résiliente, capable de surmonter les défis les plus dangereux ?
Cette question dramatique se pose avec une insistance croissante au début de ce millénaire : la société industrielle, globalisée, libérale, productiviste est-elle en train de ruiner les fondements même de sa réussite ? Une civilisation fondée sur le profit, la croissance, l’abondance et le gaspillage est-elle stable ? Comment définir les conditions d’un développement durable ? Est-il imaginable de se développer et de durer ? Ou bien faut-il, comme le plaident les écologistes, renoncer au mythe de la croissance et rétrograder vers une société pastorale ?
Mais la question la plus importante est doctrinale : comment subsister au mythe de la croissance ? Car notre société fonctionne selon le paradoxe du cycliste : celui-ci reste en selle aussi longtemps qu’il roule ; s’il s’arrête, il tombe. Et donc ne vaudrait-il pas mieux de poursuivre la route à pied. Comment en trouver le courage ?

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