Une chronique politique sans parti pris

Lettre de Noël

Dans ma petite école l’usage voulait que chaque élève rédige une lettre de Noël qu’il recopiait en tirant la langue sur une feuille ornée de dessins un peu kitsch. La lettre était remise au parents le soir de la veillée. Avec le recul, cela me semble une juste tradition que je réitère ici, non plus à l’intention de mes parents défunts, mais de mes concitoyens. Je ne formule qu’un souhait : la paix, denrée rare dans le monde, bénéfice helvétique dont on ne mesure pas assez  le privilège.

Comme je n’ai pas eu la chance de naître Suisse, j’ai choisi de le devenir et je n’ai jamais regretté ce choix. Nul n’abandonne sa patrie de naissance, s’il n’est pas puissamment motivé par l’attraction d’un pays différent et préférable. Cette attirance remonte très loin, à la seconde guerre mondiale, lorsque parfois le soir dans de bonnes conditions en collant mon oreille au haut-parleur d’une vieille radio, j’entendais faiblement la voix de Sottens, d’un pays qui avait réussi à se protéger de l’emprise nazie. La Suisse fut, pour l’enfant, que j’étais, le pays de la paix, de l’exception à la fatalité historique.

Quand j’en eus l’occasion, au milieu de ma vie, je devins professeur à l’EPFL, de préférence à mon université d’origine à Louvain. J’ai trouvé à Lausanne ce que je cherchais, d’abord d’excellentes conditions de travail, inimaginables là d’où je venais, un niveau de vie largement supérieur, une culture, un paysage, des traditions. Cependant le facteur décisif fut et est toujours la paix, dans toutes ses déclinaisons, la paix civile par la pratique du consensus et de la collégialité, la paix du travail, le respect des lois, en un mot l’ordre et la propreté dont ici on se gausse parfois en ne mesurant pas ce que cela représente. Des trains qui ne sont ni en grève, ni en retard, un système de santé à la pointe, une formation et une recherche parmi les meilleures au monde, une nature protégée, un peuple sage.

Certes la Suisse n’est pas un hypothétique Royaume de Dieu sur terre et elle ne le sera jamais, mais c’est la meilleure approximation que je sache, si je la compare aux pays que je connais et que j’aurai la charité de ne pas énumérer. Les guerres qui ont ravagé l’Europe ont déposé des séquelles séculaires, non seulement les destructions matérielles, mais aussi et surtout les traumatismes psychologiques qui empoisonnent les relations humaines pendant des générations par la transmission inévitable de la méfiance, de l’incertitude, de la crainte. Sans qu’ils s’en rendent compte les Suisses et tous ceux qui ont réussi à monter sur la barque vivent dans la confiance de l’avenir et dans le respect mutuel.

En fait ce peuple, dont je fais maintenant partie, n’a que le seul défaut de sa qualité : il s’imagine trop souvent qu’il est un peuple élu et qu’il ne peut y en avoir qu’un seul. Dans le laborieux rapport avec le continent, la Suisse populaire et officielle ne se pose jamais qu’une question étriquée : que pourrait bien faire l’Europe pour nous, alors que nous vivons tellement mieux qu’elle ? Alors que la véritable question est redoutable : que pourrions-nous faire pour l’Europe, qui la hisserait à notre niveau matériel, politique et spirituel ? C’est toute la différence entre l’esprit de clocher et le génie missionnaire.

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