Une chronique politique sans parti pris

La Suisse n’est pas la France

 

Il n’y a pas et il n’y aura pas de gilets jaunes en Suisse si nous retenons la leçon de Paris ce samedi. Il n’y aura pas de guérilla urbaine. Il n’y aura pas 1500 émeutiers, dits casseurs, tenant tête à 5 000 policiers. Il n’y aura pas de vitrines cassées sur la Bahnhof strasse. On ne peut que s’en féliciter mais, tout aussitôt, se demander quelle est la raison de cette différence pour la garder précieusement.

Entre la Suisse romande et la France, il n’y a que la lisière du Jura.  C’est le même peuple, parlant le français, dans le même environnement géographique, mais les institutions font toute la différence. La France a un taux de chômage, qui est plus du double de celui de la Suisse. Tous les matins 300 000 frontaliers franchissent la frontière dans un seul sens. En Suisse, le PIB par habitant est de 81 276 $ et le salaire mensuel moyen de 7 765 $, le plus élevé du monde. En France respectivement de 44 099$ et de 3 976 $. Cet écart, du simple au double, doit être corrigé par une évaluation du pouvoir d’achat effectif, qui n’est pas aussi démesuré. Mais il est tout de même frappant et mérite de se pencher sur les institutions, sur la différence.

La France vit sous le régime d’une monarchie élective, qui exerce un pouvoir agrégé dans les mains de son président. Les corps constitués forment une noblesse méritocratique recrutée sur base de concours. Manifestement cela fonctionne moins bien que l’acratie helvétique. Même si le monarque individuel est intelligent et bien disposé, même si les énarques sont adroits, le peuple français conteste fréquemment le pouvoir par des manifestations, des grèves et des émeutes, qui paralysent les meilleures réformes. Quand le souverain populaire, qui existe toujours et partout, ne peut s’exprimer par les urnes, il le fait dans la rue.

Tout comme trop d’impôts tue l’impôt, trop de pouvoirs tue le pouvoir. Si le président possède la majorité du parlement, il est normalement tenté d’imposer ses vues, qu’il juge naturellement excellentes. A titre de comparaison, l’insurrection parisienne porte, du moins au début, sur la taxe des carburants. Le pouvoir régalien refuse de la remettre en question, tandis qu’en Suisse le peuple a pu voter sur la redevance Billag. Très intelligemment, le Conseil fédéral l’a réduite, juste avant la votation, pour éviter qu’elle soit refusée. Tant pis pour la SSR, elle fera avec ce que le peuple considère comme acceptable. Sinon, elle perdait tout.

Les contestataires français commencent à émettre une revendication très pertinente : le référendum d’initiative populaire. Si cette institution typiquement républicaine était introduite, elle modifierait complètement le paysage. Encore faudrait-il que ce soit possible, c’est-à-dire que le peuple en fasse un usage pondéré. Ce n’est pas gagné d’avance. Les Suisses ont eu sept siècles d’avance pour apprendre à s’en servir.

La leçon de ce qui vient de se passer de façon exemplaire à Paris, c’est que nos institutions telles qu’elles existent sont un trésor politique, qu’il ne faut pas en abuser, qu’il faut les utiliser à bon escient pour ne pas les éreinter, les ridiculiser ou les rendre inapplicables. Des votations à visées électoralistes ne sont pas acceptables : les juges étrangers, la libre circulation, les minarets, la burqa ne répondent pas à une nécessité impérieuse mais à une stratégie partisane. En démocratie directe, il est tentant d’agiter le peuple avant de s’en servir. Mais ce n’est pas intelligent. Les Suisses possèdent un Secret, ils doivent le préserver car les autres peuples l’envient. Ils ne doivent pas en abuser. Sinon, un jour, on cassera les devantures des banques.

 

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