Une chronique politique sans parti pris

Fin du monde ou fin du mois ?

 

 

Lors d’une émission  de TV Mont Blanc au sujet de mon livre « le Secret des Suisses », la question surgit naturellement de la part du journaliste : « Est-il possible d’avoir un mouvement de gilets jaunes en Suisse ? ». Ma réponse fut évidemment et spontanément négative.

 

Mais pourquoi est-il inimaginable que ce qui se passe en France puisse se passer en Suisse ? Les habitants de ce dernier pays seraient-ils plus disciplinés, plus patriotiques, plus dociles ? Le civisme est-il différent de part et d’autre du Jura par une sorte de loi de la Nature ? Si l’augmentation des taxes sur les produits pétroliers vise à en réduire l’usage, si cela s’inscrit dans un grand projet écologique de sauvetage de la planète, pourquoi cela n’est-il pas compris ? La réponse du gilet jaune est : « je ne puis pas m’occuper de la fin du monde, si je suis préoccupé par la fin du mois ».

 

La réponse suisse est beaucoup plus simple et évidente. Si le peuple peut s’exprimer par les urnes, il n’est pas nécessaire qu’il le fasse en rue. Et réciproquement. Les gilets jaunes, poussés au désespoir par leur misère, n’ont pas trouvé d’autre moyen d’expression que de s’en prendre à leurs semblables (installés au volant) pour les retarder, les bloquer, les empêcher d’accéder à leur travail ou à des commerces. Pour les empêcher de vivre normalement. S’ils avaient défilé sagement de la Bastille à la Nation, cela n’aurait servi à rien. Pour être entendu, il faut, en France, semer le désordre, nuire à l’économie, ébranler les institutions, faire peser la menace d’une révolution. Pour être entendu en Suisse, il suffit de collecter des signatures et de déclencher une votation.

 

Tel est le secret des Suisses. Régler les problèmes de toute sorte par consensus. Placer dans le Conseil fédéral, les Conseils d’Etat, les municipalités, des représentants de tous les partis de façon que les textes proposés aux législatifs anticipent une réaction possible du peuple souverain, qui peut de toute façon faire et défaire la loi. Il est en dernière analyse le seul souverain. Il peut se tromper comme toute assemblée humaine, mais il doit alors assumer les conséquences et il ne peut les attribuer aux élus.

 

Il ne sert à rien de proposer des mesures très intelligentes, bien étudiées, propres à améliorer le bien-être de tous, ce qu’essaie de faire le gouvernement de Macron, si le peuple n’en veut pas, s’il les sabote, s’il se révolte. En juin 1953 la population de Berlin s’est soulevée contre le régime communiste, qui manifestement était tout sauf une démocratie, tout en visant un idéal communiste. Berthold Brecht émit le commentaire : « Le gouvernement est mécontent du peuple. Il va le démissionner ».

 

Malgré ses défauts, la démocratie directe est le pilier de la prospérité suisse parce qu’elle engendre la paix sociale. Résultat spectaculaire : la France a un taux de chômage, qui est plus du double de celui de la Suisse. Tous les matins 300 000 frontaliers franchissent la frontière dans un seul sens. En Suisse, le PIB par habitant est de 81 276 $ et le salaire mensuel moyen de 7 765 $, le plus élevé du monde. En France respectivement de 44 099$ et de 3 976 $. Et donc cela marche du point de vue de celui qui touche un salaire décent, du point de vue de la majorité. Tout le reste est bavardage, copinage, délayage. Le jour où la France bénéficiera du droit au référendum et de l’initiative populaire, il ne sera plus nécessaire de bloquer les ronds-points. Il faudrait que les Suisses partagent leur Secret avec les Français.

 

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